Références gastronomiques

Christian Janier, MOF Fromager

6 juin 2019
Portrait de Christian Janier, MOF Fromager.

Le Meilleur Ouvrier de France Christian Janier nous parle d’un produit cher au coeur des Français : le fromage. Les différentes variétés expriment le caractère du terroir et la richesse de nos régions.

Cave à fromages Christian Janier.

 1-Quel est ton parcours ?

J’ai grandi dans une famille où la gastronomie était une religion, et particulièrement le fromage. Quand on me demandait ce que je voulais faire, je répondais : « Comme mon papa ». On pensait alors que cette idée allait me passer, mais non ! J’ai donc fait l’école d’agriculture de Sandar à Limonest, puis l’École Nationale d’Industrie Laitière de Poligny, dans le Jura. Cette dernière était plus axée sur les pâtes pressées cuites comme le Comté. J’ai, par la suite, naturellement rejoint l’entreprise familiale.

2-À quoi ressemblent tes journées ?

J’arrive ici vers 5h30. Habituellement, nous faisons le tour des caves afin pour voir comment les produits évoluent. En fonction, nous réévaluons l’hydrométrie et la température. Le début de la semaine est généralement consacrée aux commandes et la fin de semaine à la réception des produits.

En parallèle, j’aime passer du temps à discuter avec mes clients et mes fournisseurs. C’est un métier formidable qui me permet d’être un jour dans les alpages en tenue de berger et un autre à la Préfecture en costume-cravate. J’adore ce grand écart.

Et puis il y a une partie de transmission nécessaire pour faire perdurer et progresser notre métier. Je citerais deux phrases « Quelqu’un qui a un savoir énorme, si au moment de passer à trépas n’a pas transmis, il est réduit à néant » et « On est le résultat de soi-même, mais aussi le résultat des personnes que l’on a croisées ». Rien n’est figé. On peut s’améliorer tous les jours professionnellement et humainement.

À ce jour, il n’existe pas de définition légale de l’affinage.

3-Quelle est la différence entre un fromager et un affineur ?

Le fromager est la personne qui va de l’étape de fabrication à celle de la vente.

Nous pouvons distinguer 3 types de fromagers :

  • Le fromager fabriquant.
  • Le fromager affineur.
  • Le fromager détaillant (fromager vendeur)

L’affinage peut aller de 3 jours à 3 ans en fonction de la taille du fromage et de la technologie employée. Un rocamadour mettra 11 jours pour s’affiner sur zone, alors que chez moi, en 3 jours ce fromage peut devenir un « séchon » ou devenir quasiment liquide. Tout dépend de la température et de l’hydrométrie de la cave. Il faut savoir qu’à ce jour, il n’existe pas de définition légale de l’affinage.
                                            

4-Quelles sont les grandes catégories de fromage ? 

En France, le lait est produit principalement par les vaches, les chèvres et les brebis. En Italie, on trouve également des bufflones. Et sous d’autres latitudes, on fabrique des produits laitiers à base de lait de yack, de chamelle, etc.

Historiquement, il n’y avait pas de chèvre en France avant le 7ème siècle. Elles sont arrivées avec les invasions sarrasines. Lors de la bataille de Poitiers, les Francs ont repoussé les arabes hors des frontières mais ont gardé leurs chèvres. C’est la raison pour laquelle le plus gros pôle de fromages caprins se situe en bordure de Loire. On y trouve notamment de belles appellations comme le Pouligny Saint-Pierre et le crottin de Chavignol.

5-Combien de familles de pâtes existe-t-il ?

Il existe 7 familles de pâtes :

  • Les pâtes fraîches (Fromage blanc, Faisselles).
  • Les pâtes molles qui se subdivisent en 3 sous-familles :
     – Les pâtes molles à croûte lavée (Époisses, Munster, Maroilles).
     – Les pâtes molles à croûte fleurie (Brie de Meaux, Camembert de Normandie).
     – Les pâtes molles à croûte naturelle (Saint-Marcellin, Valençay, Rocamadour).
  • Les pâtes pressées non cuites qui, comme leur nom l’indique, ont subi une opération de pressage pour en retirer l’humidité (Cantal, Tomme des Bauges, Saint-Nectaire).
  • Les pâtes pressées cuites constituées principalement de fromages de grand format (Comté, Beaufort, Gruyère, Parmesan).
  • Les pâtes persillées pourvues de moisissures bleues ou vertes (Roquefort, Bleu d’Auvergne).

On peut ajouter 2 autres familles :

  • Les pâtes fondues qui est une famille sans en être une puisque ces fromages sont réalisés à partir d’autres défectueux (sauf la Cancoillotte).
  • Les pâtes filées, une famille historiquement présente en Italie (Mozzarella di Bufala, Scamorza).

5-Pourquoi certains fromages sont-ils à pâtes molles et d’autres à pâtes cuites ?

Pour des raisons de conservation. La durée de vie d’une pâte fraîche est de 15 jours maximum alors qu’une pâte pressée cuite telle que le parmesan peut se garder 4 à 5 ans. Dans certaines régions au climat rude, les habitants peuvent rester bloqués 15 jours ou 3 semaines.  Ils ont besoin de fromages avec plus de garde tels que le Comté et le Beaufort. C’est un moyen de stocker la matière quand les animaux ne donnent plus de lait.

La pasteurisation détruit la typicité et le goût du produit.

 6-Quelle est la différence entre un fromage au lait cru et un fromage au lait pasteurisé ? Existe-t-il un risque pour la santé ?

Un fromage au lait pasteurisé a subi un traitement thermique assez élevé pour tuer tous les micro-organismes pathogènes et notamment le plus résistant, le Bacille de Koch. Il s’agit d’un couple temps-température (72 degrés /5 secondes, 90 degrés/0,5 secondes). La pasteurisation UHT (dite flash), ce sont 145 degrés quelques dixième de secondes. L’inconvénient de l’Ultra Haute Température est qu’elle détruit tous les oligo-éléments, la typicité et le goût du produit.

Un fromage au lait cru n’a subi aucun traitement thermique. On travaille directement le lait qui sort du pie (vache, chèvre) ou de la tétine (brebis). On retrouve toute l’expression du terroir. Il faut savoir que les bactéries sont différentes selon les terroirs. Celles ajoutées après pasteurisation n’ont pas les mêmes propriétés, ce qui entraîne un goût commun, une standardisation des produits.

À mon sens, il n’y a aucun risque pour la santé. On vit dans un monde aseptisé qui crée des générations de fragiles, d’intolérants, d’allergiques. On ne consomme que des choses pasteurisées. Quand on est malade, on crée des anticorps. Tout ce qui ne tue pas rend plus fort.

L’artisanat, et notamment les fromages au lait cru, ne pardonnent pas.

7-Quelle est la différence entre un fromage provenant d’une ferme et un autre provenant d’une grande  surface type Babybel, St Môret, Chavroux ?

Ce sont des marques commerciales, pas des fromages. Pour décrocher le nom de fromage, il faut une histoire sinon il s’agit d’un produit laitier.

Il faut que l’intégralité du lait transformé soit produit sur l’exploitation pour avoir l’appellation « fromage fermier ». Pour avoir un ordre d’idée, une ferme produit en moyenne 100 litres de lait de chèvre par jour. Un industriel peut collecter 1,2 million de litres de lait de vache par jour pour la fabrication de fromages de type emmental pas chers vendus en grande surface.

Nous travaillons avec des petites fermes et des laiteries artisanales. Nos produits sont vivants, ils respirent. Il n’y a pas de date déterminée qui nous indique quand un fromage doit être retourné. On doit l’écouter. Cette proximité avec le produit nous permet d’atteindre l’excellence. Un produit industriel  ne dépassera pas la note de 11/20 alors que nous cherchons le 16 ou 17/20. Par contre, il suffit d’un grain de sable dans l’engrenage pour qu’un fermier chute à 2/20 quand l’industriel se maintiendra dans sa banalité. L’artisanat, et notamment les fromages au lait cru, ne pardonnent pas.

L’AOP n’est pas un blanc-seing de qualité.

8-Un bon fromage nécessite-t-il une AOP ?

Non. Je commercialise d’ailleurs d’excellents fromages sans AOP. L’AOP n’est pas un blanc-seing de qualité. C’est un label qui a le mérite d’exister et qui a permis d’éviter certaines tricheries. Mais c’est un label onéreux et contraignant que tous les artisans ne peuvent pas se payer. Pour trouver un bon fromage, le consommateur doit se fier à son artisan. Ce dernier doit être aussi bon conseiller que dénicheur de produits de qualité.

9-Comment constituer un plateau de fromages ?

Comme pour les fleurs, il faut toujours avoir un nombre impair, pour le côté esthétique. L’idéal est d’avoir entre 3 et 5 fromages susceptibles de plaire à tout le monde. Que les 3 laits et les 5 familles technologiques soient représentés, sauf si vous préférez un plateau à thème (ex : la ronde des chèvres). Pour finir, il est bien d’avoir une harmonie dans les goûts et les couleurs.

Il ne faut pas hésiter à demander à un professionnel de vous conseiller sur l’ordre des fromages à consommer pour mieux les apprécier. « La dégustation d’un mets ne doit jamais faire oublier le précédent » disait d’ailleurs Jean Anthelme Brillat-Savarin.

Fromages de chèvre de chez Christian Janier.

10-Pourquoi as-tu passé le concours MOF ?

J’ai toujours été entouré de Meilleur Ouvrier de France. Il y a une dimension familiale, une générosité dans ce titre. Comme me l’a dit Maurice Trolliet (MOF Boucher) : «  Ta tenue de travail, le col bleu-blanc-rouge, te rappelle tes devoirs ». Alors quand Gabriel Paillasson est venu m’informer de  l’ouverture du concours à la fromagerie en me disant : « Soit tu tailles (tu y vas), soit je veux ton père dans le jury », je suis aussitôt monté au bureau dire à mon père que je me portais candidat. Et il m’a répondu : « On a un petit nom dans le fromage, alors t’y vas pas pour faire de la figuration !».

11-Est-ce difficile de travailler en famille ?

Bien sûr. Mon père avait un caractère bien trempé et je n’en suis pas dépourvu !  Mes enfants non plus.  Je suis parti 3 fois de l’entreprise. Par contre, on ne s’est jamais quitté le soir sans se dire au revoir et le lendemain s’était oublié. On a toujours su faire la part des choses, sans cultiver de rancœur ni d’animosité. Le titre de MOF m’a donné plus de crédibilité. Nous sommes passés de « le fils de » à « le père de ». M’inscrire au titre de MOF a été une démarche personnelle dans le but d’être jugé par mes pairs. Mais inconsciemment, et si je veux être honnête, c’était également un moyen d’exister et de prouver à mon père mon expertise dans le métier.

 12-Quel est ton leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui t’inspire ?

Je souhaite essayer de m’améliorer à travers le partage et les rencontres.
« Travaille, vis comme si tu devais mourir demain. »
« Ne pas avoir de regret quant aux choix du passé. »

13-Quels sont tes projets pour demain et/ou le rêve que tu souhaiterais réaliser ?

J’aime la gastronomie, recevoir et faire plaisir aux gens donc je ferai volontiers une table d’hôtes.

Christian Janier
27, rue Seguin
69002 Lyon

Site web

Photo de couverture : École de cuisine de l’IPB

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