Je suis l’Hôtel-Dieu de Lyon. Depuis plus de huit siècles, ma silhouette se dessine le long du Rhône. J’ai abrité les plus fragiles, accueilli les voyageurs, inspiré les bâtisseurs, guidé les chercheurs. J’ai connu une succession de guerres et d’épidémies. Mon histoire est celle d’un lieu de soin, de science et de solidarité.
J’occupe une place particulière dans le coeur des Lyonnais. D’ailleurs, si vous croisez l’un d’entre eux, il aura sans doute une anecdote à partager à mon sujet. Beaucoup sont nés entre mes murs, d’autres ont vu partir un être aimé – tous ont laissé leur empreinte. Je fais partie de leur vie, de leur passé, de leurs souvenirs les plus précieux.

L’origine de la tradition hospitalière
En passant devant ma façade majestueuse, vous avez sans doute remarqué les deux statues qui veillent fièrement sur mon entrée principale. Il s’agit d’un hommage au roi Childebert Ier (fils de Clovis) et à la reine Ultrogothe. Ils n’ont pas de lien direct avec moi. Cependant, je tenais à honorer la mémoire de ce couple, à qui nous devons l’esprit d’hospitalité qui m’anime encore aujourd’hui. En effet, ils ont bâti en 542 un modeste hôpital destiné à accueillir les pèlerins et les âmes dans le besoin. Ce lieu d’accueil s’élevait sur la rive droite de la Saône, dans ce qui est aujourd’hui le quartier Saint-Paul. Il disparut à la fin du XVème siècle.
La création de l’Hôtel-Dieu
Mon histoire commence au XIIème siècle. Je fus érigé sur un terrain appartenant à l’archevêque de Lyon par l’Ordre des frères pontifes – des moines bâtisseurs, réputés pour édifier des ponts et établir, à proximité, des hospices destinés à accueillir pèlerins, voyageurs et âmes démunies. C’est ainsi que commença ma construction, aux abords du pont du Rhône (aujourd’hui pont de la Guillotière).
Le commerce
Au XVème siècle, le consulat de Lyon me rachète et commence à m’agrandir. Peu à peu, une vie commerçante s’anime autour de moi. Boucherie et abattoir s’installent, mais, pour des questions d’hygiène, ils sont remplacés par un magnifique passage couvert long de 126 mètres, reliant l’actuelle place de la République au quai du Rhône. Couronné d’une belle verrière culminant à 15 mètres de hauteur, ce passage abritait deux rangées de boutiques de qualité, à l’image des plus belles galeries parisiennes. Hélas, en 1959, ce bijou architectural fut détruit pour permettre l’élargissement de la rue Childebert et la construction d’un immeuble moderne.

L’Hôtel-Dieu selon l’architecte Jacques-Germain Soufflot
Au XVIIIème siècle, l’architecte Jacques-Germain Soufflot me donna fière allure en m’habillant d’une façade monumentale longue de 350 mètres. Couronnée d’une majestueuse coupole initialement pensée pour atteindre 32 mètres de diamètre, je devins l’un des bâtiments emblématiques de la ville.
Petite anecdote entre nous : mon concepteur ne m’a jamais vu tel qu’il m’avait imaginé. Appelé à Paris pour diriger les travaux d’un autre monument de renom – le Panthéon – il confia la suite de ma construction à son équipe. En son absence, ils prirent quelques libertés et me dotèrent d’une coupole plus modeste que prévue.
Mon Dôme succomba à un incendie le 4 septembre 1944, suite à un échange de tirs. Il fallut attendre que les fonds soient réunis pour qu’il soit reconstruit, cette fois fidèlement aux plans originaux de Jacques-Germain Soufflot.

L’Hôtel-Dieu, berceau de la médecine moderne
Au fil des siècles, j’ai acquis une excellente réputation dans le domaine médical, notamment en chirurgie. J’ai vu se succéder entre mes murs des chirurgiens d’exception, qui ont marqué leur époque.
Marc-Antoine Petit (1766-1811) fut le premier à occuper le poste de chirurgien-major. Visionnaire, il est à l’initiative de l’enseignement médico-chirurgical à Lyon. Initiative qui aboutira, en 1821, à la création de l’école secondaire de médecine.
Joseph Gensoul (1797-1868) acquit une renommée internationale en réalisant avec succès la première ablation d’un cancer de la mâchoire. Son exploit fut si marquant qu’il fut cité par Gustave Flaubert dans son célèbre roman Madame Bovary.
Antonin Poncet (1849-1913), l’un de mes illustres résidents, s’est passionné pour l’antisepsie et l’asepsie. Convaincu que la chirurgie devait être pratiquée dans de bonnes conditions d’hygiène, il a imposé des pratiques novatrices : lavage systématique des mains et des avant-bras, stérilisation des instruments, et séparation stricte du propre et du sale. Ces règles nous semblent évidentes aujourd’hui mais à l’époque, elles étaient révolutionnaires.
Mathieu Jaboulay (1860-1913) fut le dernier et l’un des plus brillants chirurgiens-majors à exercer entre mes murs. Précurseur de la chirurgie vasculaire et de la greffe, il a ouvert la voie à des pratiques qui ont transformé la médecine moderne.
Léon Bérard (1870 – 1956) s’est engagé dans la recherche contre le cancer dès 1917. Grâce à la générosité des frères Lumière, il ouvrit en 1923 le deuxième centre français de lutte contre le cancer sous mon Dôme. Mais l’afflux de patients le poussa à me quitter dès 1935 pour rejoindre l’hôpital Grange-Blanche (aujourd’hui Édouard Herriot). J’ai été fier d’apprendre, en 1958, la création du centre Léon Bérard. La lutte contre le cancer, qui fut le combat de sa vie, s’y poursuit encore aujourd’hui.
Le Grand Hôtel-Dieu : la renaissance
Depuis 2019, je ne suis plus un hôpital, mais un lieu dédié à l’art de vivre. Mes murs accueillent désormais des savoir-faire, des moments de partage, des rencontres. En moi résonne toujours la voix de celles et ceux qui m’ont habité, soigné, aimé. Leur mémoire habite chaque pierre. C’est sûrement la raison pour laquelle, lorsque vous flânez entre mes pierres ou que vous déambulez sous mes voûtes, vous ressentez cette présence invisible : celle d’un lieu chargé d’histoire, habité d’une âme.
Je suis le Grand Hôtel-Dieu et je continue à veiller sur la ville.

Grand Hôtel-Dieu
1, place de l’hôpital
69002 Lyon
Photos d’archives :
Dôme incendié pendant la guerre, galerie commerçante (Le Progrès), l’Hôtel-Dieu berceau de la médecine moderne.