Références gastronomiques

Flore Lelièvre et Fabrice Bloch, Le Reflet « restaurants extraordinaires »

28 avril 2020
L'équipe du restaurant extraordinaire Le Reflet

Rendre l’extraordinaire ordinaire, c’est l’objectif des restaurants Le Reflet dont la majorité des salariés sont porteurs de Trisomie 21. Flore Lelièvre et Fabrice Bloch nous plongent dans les coulisses d’un projet qui a mis le handicap à la carte. 

1- Pouvez-vous vous présenter ? 

Flore Lelièvre à l'origine des restaurants extraordinaires Le Reflet.

Flore: Je suis à l’initiative du projet Le Reflet. Architecte d’intérieur de formation et ayant un frère porteur de Trisomie 21, j’ai choisi comme projet de fin d’études de créer un espace de travail qui s’adapterait en matière d’ergonomie et de mobilier à ce handicap.

Fabrice : Flore m’a contacté il y a deux ans et demi en qualité de directeur artistique du magazine 180°C alors qu’elle cherchait à créer le livre « Restaurants extraordinaires ». Quand je suis arrivé au restaurant de Nantes pour la première réunion, ça a été un électrochoc. Je n’avais aucune connaissance sur le handicap mais j’ai immédiatement eu un coup de foudre pour le projet. On a commencé à travailler ensemble sur le livre, puis l’idée d’un second établissement sur Paris a germé. Saisir l’opportunité d’un poste en cuisine a changé ma vie.

Fabrice Bloch en cuisine dans les restaurants extraordinaires Le Reflet.

2- Pourquoi avoir choisi la restauration comme secteur d’activité ?

Flore: Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, je me suis renseignée sur les entreprises qui embauchaient des personnes en situation de handicap. Dans le peu d’exemples que j’ai trouvés, que ce soit en France ou à l’étranger, le domaine de la restauration revenait régulièrement. Il a plusieurs avantages : proposer un poste en salle ou en cuisine, pouvoir travailler en équipe, avoir un contact direct avec le client, et tisser du lien social.

Service au restaurant extraordinaire Le Reflet.

3- Comment vous êtes-vous adaptés aux salariés ?

Flore: Nos salariés ne savent pas tous lire et écrire. Aussi, il a fallu trouver un outil pour la prise de commande. Chez nous le client tamponne ses choix. C’est ludique et ça permet une très bonne transmission avec la cuisine. Nous avons créé une vaisselle ergonomique (assiettes avec des empreintes de mains moulées) pour plus d’assurance et de stabilité.

Nous nous sommes également adaptés à la fatigabilité qui survient plus vite chez les personnes atteintes de Trisomie 21. Les contrats sont de 20h et limités à un service quotidien. Nous avons créé des postes de travail assis et une salle de repos est à leur disposition. Nous sommes particulièrement vigilants. Soucieux de nous faire plaisir, ils ne nous diront pas s’ils sont fatigués.

« Ils vont trouver le mot juste, celui qui va vous redonner l’énergie nécessaire pour repartir. »

4- En quoi travailler avec des personnes atypiques est-il un atout ?

Flore : Ils ont un pouvoir magique, celui de faire renaître l’espoir en deux secondes. Ils vont trouver le mot juste, celui qui va vous redonner l’énergie nécessaire pour repartir. Ils sont moteurs, attentifs, instinctifs et sensibles à l’autre.

Fabrice : Très vite, je n’ai plus vu des personnes trisomiques mais Eurydice, Cyril, Mickaël. J’ai passé sur le tard mon CAP Cuisine. J’ai choisi d’être chef à domicile car je ne voulais pas intégrer une brigade classique. Le Reflet correspond à ma vision du métier, à la manière dont j’ai envie de l’exercer, avec plaisir, pédagogie, bienveillance et convivialité.

Ils ont des qualités qui sont de vrais atouts en cuisine. Ils sont enthousiastes, patients et persévérants. Les tâches longues et répétitives, ils maîtrisent. Éplucher 5 kg de légumes tous les jours ne va leur poser aucun problème. Ils vont vous dire : « J’adore les pommes de terre, j’adore les manger, j’adore les éplucher. »

5- Travailler avec eux a-t-il eu un impact sur vous ?

Fabrice : Au début je les voyais comme des grands enfants que je devais protéger. Ils détestent ça. Leur fierté c’est d’être considérés comme des adultes et d’acquérir de l’autonomie.

Il m’a fallu apprendre à déléguer plutôt que de faire les choses à leur place, à transmettre avec patience car il faut beaucoup répéter. Mais les progrès sont visibles, c’est ce qui me motive et me remplit de fierté.

6- Quel est le retour des parents ?

Flore : Il est unanime : ils rayonnent ! Ce travail donne un sens à leur quotidien en les valorisant, en créant du lien. Ils sont contents de raconter ce qu’ils ont fait et appris dans la journée. Ils prennent confiance en eux. Ça va même plus loin. Nous avons la même équipe depuis l’ouverture à Nantes il y a 3 ans. Cet emploi leur a donné accès à une autonomie financière. Aujourd’hui, certains ont même réussi à quitter le nid et habitent seuls dans des appartements pédagogiques ou en foyer. Les parents, très investis dans le projet, sont rassurés et contents de voir leurs enfants s’épanouir et prendre leur envol.

« Les barrières et les préjugés s’envolent rapidement. À chaque fois la magie opère. »

8- Qu’est-ce que ça vous a appris d’être au contact de personnes atteintes de Trisomie 21 ?

Fabrice : Je pensais être doté d’une patience infinie mais il m’a fallu redoubler d’efforts.
Aujourd’hui je ne catégorise plus les gens. Je considère qu’il faut aller plus loin que la première impression. Je vais laisser une chance.

Flore : La patience dans les rapports humains. Quand j’étais ado et qu’on sortait dans la rue avec mon frère, j’étais happée par la dureté du regard que les gens portaient sur lui. Je ne voyais plus que ça. Par sa capacité à fédérer des gens bienveillants, le projet Le Reflet m’a rassurée sur l’espèce humaine.

« Ils ont un effet miroir. »

9- Pourquoi avoir choisi comme nom Le Reflet ?

Flore : Le projet initial était une barge flottante en guise de restaurant extraordinaire. J’ai aimé cette symbolique de deux éléments différents qui se rencontrent et se mélangent. Une personne porteuse de Trisomie 21 a cette capacité de nous renvoyer une image de nous-même, sans filtre. Ils ont un effet miroir.

10- Un petit mot sur les restaurants de Nantes et de Paris ?

Flore : Nous avons ouvert le premier restaurant à Nantes il y a 3 ans, en décembre 2016 exactement. Sophie Cluzel, secrétaire d’état en charge du handicap, et Brigitte Macron nous ont fait le plaisir de venir y manger. L’équipe est composée de 12 personnes dont 7 sont atteintes de Trisomie 21.

Le restaurant de Paris est plus récent. Nous avons ouvert en octobre 2019 avec le soutien de Guillaume Gomez (ndlr : Chef des cuisines de l’Élysée), qui le parraine. L’équipe est composée de 12 personnes dont 8 sont porteuses de Trisomie 21.

« Oui, une personne atypique peut être un atout dans une équipe. »

11- Pensez-vous ouvrir un 3ème restaurant ?

Flore : Ce n’est pas notre volonté. Nous souhaitons que les restaurants de Nantes et de Paris soient des sources d’inspiration, des modèles pour d’autres chefs d’entreprise.
Notre objectif est de donner des outils pour permettre l’inclusion des personnes en situation de handicap en milieu ordinaire.

Nous avons créé l’association Trinôme 44 dans ce but et réalisé un livre « Restaurants Extraordinaires » afin de partager notre expérience. Ce livre met également en lumière d’autres employeurs extraordinaires issus de la restauration mais pas uniquement. Car oui, un établissement embauchant des personnes en situation de handicap peut être rentable. Et oui une personne atypique peut être un atout dans une équipe.

Le sommelier du restaurant extraordinaire Le Reflet.

12- Comment vivent-ils le confinement ?

Flore & Fabrice : Globalement, ils le vivent mieux que nous. Ayant été confinés toute leur vie, ils reviennent à une normalité. Le Reflet c’est le déconfinement. C’est se mélanger à la société.
Ils ont besoin de garder le contact. Nous avons créé un groupe WhatsApp sur lequel chacun raconte sa journée. Ils continuent de cuisiner et sont impatients de retourner travailler.

« Le Reflet, c’est le déconfinement. »

13-Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui vous inspire ?

Flore : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rencontres ».

Fabrice : « Dans la vie, certaines personnes prévoient de cocher toutes les cases. J’essaie de faire l’inverse « . Ne cocher que les cases imprévues, celles auxquelles je n’aurais jamais pensé

14-Quel est votre rêve pour demain et/ou le projet que vous souhaiteriez réaliser ?

Flore : J’aimerais que nous sortions transformés de cette période. Que l’activité au Reflet s’inscrive dans le temps. Que chaque salarié prenne toujours autant de plaisir et qu’il s’épanouisse dans son métier.

J’aimerais que l’on inspire d’autres personnes à changer de regard sur le handicap. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons ouvert à Paris, pour multiplier la visibilité et l’impact social. Des projets voient le jour un peu partout en France tels que « Ô Bell’ Endroit » à la Roche-sur-Yon et les Cafés Joyeux. La machine est lancée. 

Fabrice : Je me considère chanceux de faire partie de ce projet précurseur et j’ai les mêmes objectifs. Je souhaite qu’à la fin du confinement les gens aient encore plus envie de venir. Je rêve d’une société nouvelle où l’humain serait au centre de tout.

Flore : On compte sur nos clients à la réouverture. On a besoin de tous les soutiens. Que les gens viennent manger chez nous !!

 

Le Reflet Nantes
3, rue des Trois Croissants
44 000 Nantes

Tél : 02 57 54 61 78
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Le Reflet Paris
11, rue de Braque
75 003 Paris

Tél : 01 42 71 35 97
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Photo : Emmanuelle Janiere

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