Références gastronomiques

Guillaume Pire du Château de Fosse-Sèche

5 septembre 2022
Le vigneron Guillaume Pire, propriétaire du domaine de Fosse-Sèche

Pour cette rentrée, j’ai choisi de mettre en avant les vignerons Guillaume et Adrien Pire, propriétaires du Château de Fosse-Sèche. Après une enfance à Madagascar, c’est au coeur du vignoble saumurois que les deux frères oeuvrent à la préservation du vivant. Sur les 45 hectares du domaine, un tiers est alloué à la culture de la vigne. Les vins en biodynamie sont élevés dans des cuves ovoïdes pour ne pas masquer la typicité du terroir. Les deux tiers restants sont dédiés à la biodiversité (plantation d’arbres et de fleurs, étangs pour les batraciens, etc.).

Je dois d’ailleurs avouer qu’il a été très agréable d’entendre les oiseaux chanter et le jars Martin s’exprimer tout au long de l’entretien. Sensible à l’humain, les deux frères sont également engagés dans des projets humanitaires à l’image de la cuvée « Vive la vie » et de la création d’un conservatoire de vieilles variétés d’arbres fruitiers appelé le « Verger de la Chapelle » en collaboration avec Stéphan Perrotte. Une interview en trois temps, pleine d’humanité. 

1- Quelle est l’histoire de Fosse-Sèche ?

On dit toujours que les hommes meurent et que les terroirs restent. L’histoire de Fosse-Sèche commence bien avant nous ! C’est un domaine qui a été créé par les moines bénédictins aux alentours des années 800-900. Le domaine servait à faire du vin pour la paroisse.

Fosse-Sèche est un domaine viticole si ancien que son nom d’origine est en latin : Fossa Sicca.
On a retrouvé des écrits datant de 1238 : « Quedam domus que dicitur fossa sicca ». Il existe une demeure que l’on appelle Fosse-Sèche. Onze ou douze siècles de viticulture, ce n’est pas rien. L’histoire s’impose à un moment donné. 

2- Pouvez-vous présenter l’équipe ?

Diplômé en viticulture et oenologie, je me suis installé à Fosse-Sèche avec maman et mon beau-père en 1998. Je m’occupe de la partie vinification et commercialisation des vins. Après des études en agronomie, mon frère jumeau Adrien nous a rejoints en 2010 avec sa compagne Cécile. Il gère le travail à la vigne, l’administration et la comptabilité. Sensible à la nature, Cécile s’occupe des vignes et m’aide à la vinification. En 2012, ma compagne Julie a rejoint l’aventure. Elle s’occupe de la partie administrative, de la communication et depuis peu de faire du miel (sourire). C’est dans cette ambiance familiale que nous avons repris en mai 2012 avec mon frère le domaine. 

3- Qui vous a transmis cet amour pour la viticulture ?

Avec mon frère, nous avons vécu une partie de notre enfance en Afrique de l’Ouest et à Madagascar. Professeur de français-latin-grec, maman a souhaité que nous ayons plus de stabilité pour notre scolarité. Nous sommes donc partis avec elle pendant 3 ans en Belgique. Papa étant un aventurier à l’esprit nomade, il est resté en Afrique où il a oeuvré pour de beaux projets. Étant ingénieur agronome spécialisé en hydraulique, il a amené de l’eau à plus d’un million de personnes dans le désert du Sahara et le Sahel. 

Quelques années plus tard, nous sommes repartis à Madagascar avec mon beau-père qui lui aussi a fait quelque chose d’incroyable là-bas. Ingénieur agronome ayant un doctorat en oenologie, il a acheté le plus vieux domaine de l’île. En travaillant au développement de ces 20-25 hectares de terre, il a permis à plus de 1000 personnes de manger trois fois par jour. 

Dans cette période où le courage devient une denrée rare, nous avons eu la chance avec mon frère de grandir aux côtés de deux hommes exemplaires. C’est un bel héritage. 

4- Pourquoi avez-vous posé vos valises à Fosse-Sèche ?

Pendant deux ans, nous avons parcouru la France à la recherche d’un domaine. Nous n’avions pas beaucoup de moyens mais nous étions prêts à travailler et nous ne manquions pas d’idées. Le domaine de Fosse-Sèche était en très mauvais état quand nous l’avons visité mais nous avons vu son potentiel. Et nous avons bien fait !

5- Pouvez-vous décrire le terroir de Fosse-Sèche ? 

L’Anjou (dont Saumur fait partie) compte deux terroirs connus :

  • L’Anjou Noir, proche d’Angers et de Savennières, dont le sol est constitué de schistes
  • L’Anjou Blanc au Sud du Maine-et-Loire, dont le sol est composé de tuffeau (craie), de turonien (deuxième étage stratigraphique du crétacé supérieur). Ce sont des sols vieux de 90 millions d’années à forte inertie thermique (il y a de l’eau dans la roche). Cette pierre a notamment servi à construire les abbayes, les châteaux et les belles maisons de maître du Saumurois. 

Le domaine de Fosse-Sèche est un peu particulier puisqu’il est implanté sur une curiosité géologique. En se percutant, deux plaques calcaires ont créé une effusion du jurassique. Des roches sédimentaires de plus de 200 millions d’années sont passées au-dessus des strates plus récentes, engendrant un plateau de 800 hectares de silex du jurassique. Fosse-Sèche se situe au bout de ce plateau, à l’endroit le plus riche en oxyde de fer de la région. Les sols y sont pauvres en eau. C’est difficile pour la vigne mais ça fait des bons vins.

« La plus grande qualité d’un vin, c’est qu’on ait envie de le boire. »

6- Quels cépages cultivez-vous ? Quel est le profil aromatique de vos vins ?

Nous faisons du Cabernet franc (cépage majoritaire), du Cabernet sauvignon (1 hectare) et du Chenin (5,5 hectares). Nous essayons d’aller chercher de belles maturités et des degrés d’alcool bas. Nos rouges ont un petit côté graphite, mine de crayon, rose fanée, zan (réglisse). Il y a également un petit côté salé typique dans nos vins. Je pourrais parler de fruits rouges et noirs, d’une note florale. Mais nos vins évoluent, ils font la roue comme un paon. Ils n’auront pas le même goût s’ils sont servis directement après l’ouverture de la bouteille ou s’ils sont mis en carafe. Nous avons des vins très digestes à Fosse-Sèche, des vins buvables. Pour moi, la plus grande qualité d’un vin c’est qu’on ait envie de le boire.

« La barrique c’est comme la crème dans la cuisine. »

7- Pourquoi avoir arrêté l’élevage en barrique au profit de l’amphore ?

Ça fait plus de vingt ans que l’on pratique une agriculture respectueuse du vivant. Nos vins, et cela se ressent particulièrement sur les rouges, sont un peu salés ce qui est difficile à obtenir. En 2007, nous avons fait le choix d’arrêter l’élevage en barrique au profit de cuves en béton d’argile. Nous avons dit stop au bois car nous ne voulions pas rentrer dans cette dictature du goût qui veut que boisé soit synonyme de luxueux. Nous préférons nous montrer comme nous sommes, sans artifices, sans maquillage.

Notre vin doit être le reflet de la climatologie du millésime. Pour moi, la barrique c’est comme la crème dans la cuisine. Si nous avions un terroir banal, nous irions chercher de la technique pour faire la différence (vinification, élevage). Mais quand on a un terroir unique on a envie de le montrer de la manière la plus pure et dépouillée possible. 

8- Quelles sont les conséquences du changement climatique sur le domaine ?

Au début des années 2000, les Chenins débourraient au 5 mai à peu près. Aujourd’hui, ils sont débourrés au 1er avril, soit une précocité d’un mois. Pour nous adapter au réchauffement climatique, nous avons décidé d’utiliser les atouts qu’offrent Fosse-Sèche. Notamment en ramenant le courant d’air présent au bout du plateau sur les vignes (effet Ventury). Ce ventilateur naturel rafraîchi le végétal et le sèche plus vite après les orages. Cela diminue la pression des maladies cryptogamiques de la vigne (mildiou, oïdium, botrytis). 

Nous plantons également des arbres, notamment des essences que l’on ne retrouve pas dans le Maine-et-Loire. Des essences qui résistent au gel. Nous sommes d’ailleurs lauréat du concours national « Arbre d’Avenir ». Ces derniers jouent le rôle d’ascenseur hydraulique, leur ombre diminue l’effet de serre sur le domaine et ils jouent le rôle de ventilateur naturel. 

Afin d’évaluer l’impact de la modification climatique sur le domaine, nous effectuons des prélèvements de terre et de feuilles d’arbres. Ces données permettent de mesurer le niveau de carbone organique et d’azote 15 sur le territoire. 

« Aujourd’hui on est prêt à mettre 1000€ dans un téléphone portable mais pas dans des fruits et légumes de qualité. »

9- L’absence d’oiseaux, un bon indicateur d’un écosystème dégradé ? 

Nous avons acheté le domaine de Fosse-Sèche en novembre 1998. Quelques mois après, nous avons commencé à travailler sur la biodiversité. Quand on est en Anjou, il y a une anomalie à ne pas entendre chanter les oiseaux dans les vignes. L’utilisation massive des pesticides de synthèse dans le monde agricole a abîmé la biodiversité. En achetant des produits à bas prix, le consommateur est en partie responsable. Aujourd’hui, on est prêt à mettre 1000€ dans un téléphone portable mais pas dans des fruits et légumes de qualité. 

Quand on a de la terre, on a une responsabilité. Je pars du principe que tout ce qui existe encore peut être sauvé. Aussi, un tiers de la superficie de Fosse-Sèche est dédié à la vigne et le reste au paysage et à la biodiversité. Le consommateur a, quant à lui, la responsabilité de choisir entre une bouteille provenant d’un vigneron sensible à l’environnement ou non. Choisir, c’est voter. 

« Cultiver c’est enrichir. Exploiter c’est appauvrir. »

10- Être écolo est un investissement ?

C’est onéreux et ça prend du temps. Il faut faire les choses petit à petit. Si on faisait payer le coût aux pollueurs, les produits industriels que l’on mange seraient deux à trois fois plus chers. Aujourd’hui l’agriculture intensive est meilleure marché parce que l’industrie chimique a été subventionnée par les États après la guerre. Quand on travaille comme nous en biodynamie, on a besoin de plus de main d’oeuvre ce qui représente des coûts élevés. Même si les salaires sont bas, le travail est lourdement taxé en France. Et malheureusement, les plus gros bénéficiaires de la PAC (Politique Agricole Commune) sont les plus gros pollueurs. Pas ceux qui en ont le plus besoin. 

Or, la démarche de conservation de la biodiversité doit être soutenue, et pas que financièrement. Les vignerons qui se reconvertissent en bio doivent être accompagnés techniquement. Après avoir été dans le confort avec des produits de synthèse performants mais très polluants, il faut qu’ils apprennent à travailler sur la capacité du végétal à résister à la maladie. Avec comme supports, des macérations, des teintures mères, des huiles essentielles, des extraits d’algues marines, etc. Il y a un travail gigantesque mais de nombreux vignerons vont dans le bon sens.

Le monde agricole est un monde de cultivateurs. Cultiver c’est enrichir. Les agriculteurs sont devenus des exploitants agricoles. Exploiter c’est appauvrir. 

11- Quelles sont les actions mises en oeuvre pour la préservation de la biodiversité à Fosse-Sèche ?

—> Fleurs & miel :

Quand on regarde les champ de blés anciens sur certains tableaux, ils n’étaient pas jaunes mais rouges de coquelicots. C’est ma fleur préférée sur Fosse-Sèche. Elle ne nous appartient pas, on peut juste la contempler. Dès qu’on la touche, elle perd ses pétales. Nous avons planté plus de 30 espèces de fleurs afin de créer des réservoirs pour les insectes pollinisateurs. Outre les abeilles domestiques, il existe plus de 1000 espèces d’abeilles sauvages. Nous avons d’ailleurs un rucher et nous faisons depuis peu notre miel toutes fleurs.

—> Haies & forêts :

Pour subvenir aux besoins des insectes, nous avons planté des arbres qui produisent du nectar et du pollen tout au long de l’année. Cela existait dans les campagnes avant mais la dégradation de l’écosystème agricole engendre des pics d’alimentation à certaines périodes. Quand les colzas ou les tournesols sont en fleurs par exemple. En dehors de ces moments-là, il n’y a rien à manger et de nombreux insectes ne passent pas l’hiver. Le noisetier qui fleurit en janvier-février est idéal et permet d’apprécier de délicieuses noisettes. Ces arbres servent également de refuge aux oiseaux et aux animaux sauvages. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’Isabelle, ma fille de 8 ans, me dise qu’elle a vu des « bambis » (sourire). 

—> Étang

Pour améliorer la reproduction des batraciens, nous avons fait une zone humide derrière le plan d’eau. Cette zone est également utile pour les insectes notamment les moustiques. Les chauves-souris en mangent 1500 par jour et les hirondelles 3500. 

Les zones humides deviennent rares en France, en Europe et dans les pays industrialisés. Celles situées en périphérie des villes ont souvent été vendues et bétonnées pour développer des zones industrielles artisanales ou commerçantes (grandes surfaces). Il est important d’en recréer, d’autant plus maintenant que l’on mesure les répercussions négatives sur les écosystèmes. 

—> Les jersiaises :

Nous avons récemment accueilli 16 jersiaises qui pâturent sur la prairie en agroforesterie selon le principe du pâturage tournant dynamique. Elles proviennent de la ferme de Guillaume Gatard, un éleveur en reconversion bio, fournisseur du boucher J.A Gastronomie. Ce dernier est réputé pour sa collaboration avec de nombreux restaurants étoilés Michelin.

La race jersiaise est excellente mais elle a un petit gabarit. Les éleveurs cherchent plutôt des races qui font de grosses carcasses avec de gros muscles. Les femelles jersiaises sont gardées car elles produisent un lait de grande qualité. Mais faute de valeur commerciale, les mâles finissent souvent malheureusement avec un coup de masse sur la tête.

Guillaume Gatard et Cyrille Journiac (J.A Gastronomie) ont donc créé une filière de rachat de veaux mâles. Cette action soulage les agriculteurs et offre aux bovins un sursis. J’avais envie de faire partie de cette belle aventure. 

12- Quels projets humanitaires vous tiennent à coeur ?

—> La cuvée « Vive la vie » :

Quand papa nous a quittés en 2015, j’ai proposé à Adrien de faire une cuvée pour continuer le projet qu’il avait initié en Afrique. Nous avons fait 2000 magnums que l’on a appelé « Vive la vie ». 500 pour nous et 1500 pour nos clients (100 bouteilles par an pendant 15 ans). Papa est parti à l’âge de 65 ans, nous avons décidé de construire 65 puits en Afrique. Par ricoché, cette action permet de soulager les mamans qui vont chercher de l’eau accompagnées de leur fille pendant que les garçons vont à l’école. En Afrique, les hommes ont le pouvoir parce qu’ils savent lire et écrire. En scolarisant les jeunes filles, il va y avoir un rééquilibrage. 

—> Le « Verger de la Chapelle » avec Stéphan Perrotte :

Outre le problème de l’accès à l’eau, les enfants souffrent de dénutrition. Avec mon ami Stéphan Perrotte, Meilleur Confiturier de France et Champion du Monde de la Confiture, nous avons décidé de planter sur le domaine un conservatoire de vieilles variétés d’arbres fruitiers que nous avons appelé « Le Verger de la Chapelle ». Quand les arbres auront poussé, nous ferons une gamme de confitures dont l’intégralité des bénéfices servira à financer une pépinière d’arbres fruitiers au Niger, dans la région où l’on fait les puits. L’eau permettra la culture des fruits, les enfants pourront les manger. Les déchets serviront de compost pour fertiliser la terre. Le surplus de fruits pourra être vendu pour acheter des médicaments, des vêtements, des cahiers. C’est un cercle vertueux. 

13- Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui vous inspire ?

Socrate disait : « La seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien. » Pierre Rabhi aimait bien reprendre cette phrase. Avec les années qui passent et l’expérience, apprendre la modestie et l’humilité est quelque chose qui s’impose à nous. Surtout dans nos métiers qui dépendent de la météo. Quand on pense que l’on a tout compris, c’est là que ça devient dangereux. La vie est un perpétuel apprentissage. 

14- Quel est votre projet pour demain et/ou le rêve que vous souhaiteriez réaliser ? 

Pierre Rabhi disait « C’est dans l’utopie d’aujourd’hui que l’on trouvera les solutions de demain. » Il avait le don de savoir expliquer de façon simple et accessible, même pour des personnes déconnectées de la nature. Éduquer au bon sens paysan pour plus d’humanité, d’empathie, de bienveillance. Le maître-mot c’est l’amour des autres, du vivant. Quand on aime quelque chose, on le respecte. Nous sommes un maillon de la chaîne. Notre espèce est vouée à disparaître si l’on ne sait pas respecter le vivant.

Aussi, j’espère que nous serons de plus en plus nombreux à prendre conscience des enjeux de demain et à agir. En plantant des arbres par exemple. On appelle quelqu’un qui a eu un accident, un légume. On parle d’état végétatif. C’est dire toute la considération que l’on porte au monde végétal alors qu’il porte un beau message de résilience et d’adaptabilité. Contrairement aux oiseaux, il ne peut pas s’envoler. Il est obligé d’être bienveillant avec son environnement. Sa survie en dépend. 

Pour finir, quand je n’aurai plus l’âge de travailler à Fosse-Sèche, j’espère que la personne qui reprendra le domaine en prendra soin. Pour ma part, il y a deux choses que je n’arrêterai jamais, c’est l’humanitaire et travailler à la protection des écosystèmes dégradés. 

Château de Fosse-Sèche
Lieu-dit Fosse-Sèche
49260 Vaudelnay

Tél : 02 41 52 22 22
Site : chateaufosseseche.fr/

Photos de Guillaume Pire : Vincent Baldensperger

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