Didier Massot, Meilleur Ouvrier de France Boucher, nous parle avec sincérité de ce métier qu’il a mis du temps à embrasser, de viandes de qualité dont certaines maturées, de sa relation privilégiée avec les éleveurs et de ce joli rêve qu’il a réalisé en s’installant aux Halles Paul Bocuse.
1- Pouvez-vous vous présenter ?
Didier Massot, Meilleur Ouvrier de France Boucher. Un métier que j’ai mis du temps à aimer. Petit, je voulais devenir moniteur de ski mais à l’âge de 16 ans je n’avais plus envie d’aller à l’école. Mon besoin d’indépendance financière m’a poussé à faire un apprentissage dans la boucherie de mes parents. Le deal était de travailler six mois à leurs côtés et d’être moniteur de ski le reste du temps. Sauf qu’au moment de partir il y avait trop d’activité. Je suis donc resté aider mes parents.
2- Qu’est-ce qui vous a fait aimer ce métier ?
J’ai eu la chance de rencontrer un professeur qui avait une approche et une vision différente. Dès lors, j’ai souhaité devenir enseignant. Pour ce faire, j’ai passé tous les diplômes nécessaires mais à 22 ans, étant trop jeune pour exercer je me suis retrouvé le bec dans l’eau. Je me suis donc lancé dans une formation de charcutier, de traiteur et même de cuisinier avec la volonté de développer la partie traiteur qui émergeait dans les années 80.
À un moment donné, j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de la question. Je ne voulais pas partir de chez mes parents mais je ne voulais pas non plus m’installer dans une routine. J’avais envie d’évoluer.
3- C’est à ce moment que vous avez commencé les concours ?
C’est en effet à ce moment-là que j’ai découvert les concours nationaux. Je me suis lancé sans formation technique particulière. J’ai appris en me plongeant dans des livres, en faisant des stages, en me prenant des claques sur certains examens ce qui a été très formateur. J’ai fini par m’inscrire au concours de l’un des Meilleurs Ouvriers de France que j’ai obtenu en 2003, année où j’ai repris la boucherie de mes parents.
« En France, nous sommes des chirurgiens de la boucherie. »
4- Qu’est-ce qui vous plaît aujourd’hui dans ce métier ?
Sa technicité. En France, nous sommes des chirurgiens de la boucherie. Nous avons une découpe très pointue qui vient sublimer les meilleurs élevages bovins. Nous avons la chance d’avoir des races dites allaitantes adaptées à la boucherie sur lesquelles il est possible de travailler et valoriser chaque muscle. Dans un jarret de bœuf, par exemple, nous pouvons aller chercher deux ou trois biftecks.
5- Qu’est-ce qui différencie une découpe française d’une découpe étrangère ?
Pour faire simple le principe de la méthode anglo-saxonne est de prendre les bons morceaux et de hacher ceux qui sont plus compliqués à vendre. La découpe est plus primaire mais il y a des choses intéressantes à prendre.
Il faut dire aussi qu’ils n’ont ni les mêmes races, ni les mêmes élevages que nous. La viande est moins chère, d’autant plus aujourd’hui avec l’émergence des feed-lots, de grands élevages intensifs que l’on retrouve principalement au Brésil, en Argentine et aux États-Unis. Les bêtes sont élevées en 18 mois, nourries avec des compléments céréaliers, voire aux hormones aux États-Unis. Ils arrivent à produire des animaux qui ne sont pas très chers au coût carcasse et dont on va malheureusement être inondés d’ici peu.
« Je ne suis pas attaché à une race en particulier mais à l’éleveur. »
6- Quelles viandes travaillez-vous ?
Bœuf, veau, porc, agneau, volailles. La particularité de la boutique des Halles, c’est que nous ne proposons que de la viande (pas de charcuterie ni de traiteur). Cela étant, nous pouvons nous le permettre parce que nous sommes entourés de charcutiers et de traiteurs.
De manière générale, je travaille des races à viande (Parthenaise, Aubrac, Normande, Limousine, etc.). Je ne suis pas attaché à une race en particulier mais à l’éleveur. 80% des bouchers travaillent la même race, par habitude et par commodité. Chaque race a sa particularité. Les rendements et le travail sont différents mais on arrive à jongler.
7- Qu’est-ce qui vous anime dans ce métier ?
Vous n’allez pas me croire mais ce sont les animaux … Sûrement le fait d’être à leur contact depuis gamin. J’aime travailler le produit brut, la relation avec les gens, former des jeunes. Mon équipe est composée de treize personnes, hormis un gars qui a mon âge, le plus vieux à 25 ans. Ils sont curieux, je suis heureux de leur transmettre les bonnes techniques. Qui plus est, être à leur contact me permet de rester jeune (rires).
8- Qu’est-ce que représente le titre de MOF pour vous ?
Ce n’est pas l’aboutissement d’une carrière mais le commencement d’une autre. Ça aide à ouvrir des portes, à aller de l’avant, à faire d’autres choses. La remise en question est permanente, l’apprentissage quotidien. On doit être meilleur que les autres, on n’a pas le droit à l’erreur.
9- Faire d’autres choses comme la création de votre site de vente en ligne, précurseur à l’époque ?
Le titre de Meilleur Ouvrier de France m’a, entre autres, permis de réaliser ce projet. Disons que quand vous vendez de la viande à l’autre bout de la France, le col rassure. Ça marchait bien mais j’ai préféré arrêter. Avec du recul, je me suis aperçu que je préférais que le client voie le produit et que nous soyons à ses côtés pour le conseiller et pourquoi pas l’inviter à découvrir des pièces méconnues. 80% des clients demandent des conseils. Vendre pour vendre ne m’intéresse pas, nous sommes là pour accompagner et guider nos clients.
« Que serait Lyon sans son gratin d’andouillette, sa fraise de veau et son saucisson brioché ? »
10- Avez-vous le sentiment de défendre une tradition culinaire ?
Dans notre culture française, la viande est présente qu’on le veuille ou non. Dans chaque région il y aura toujours des plats emblématiques. Que serait Lyon sans son gratin d’andouillette, sa fraise de veau et son saucisson brioché ? Je ne devrais peut-être pas le dire mais il ne faut pas manger de la viande tous les jours. Personnellement, j’en consomme une à deux fois par semaine, lors de moments festifs, entre potes ou en famille.
11- Le respect de l’animal et du consommateur est-il une priorité pour vous ?
Je vous avoue que ce côté bucolique de l’élevage et ce discours bien huilé de bon communicant très à la mode m’agace un peu. D’autant plus que bon nombre de ces gens n’ont jamais vu le cul d’une vache.
La différence que j’ai par rapport à tous ces gens qui racontent cette belle histoire, et je ne suis pas le seul, c’est que je suis issu d’une famille de sept bouchers. On était en campagne à Izernore, mon père passait dans les petits villages avec son camion, il était boucher ambulant. Les paysans lui proposaient leur bête. Quand elle était « prête », il allait la voir, et discutait du prix autour d’un verre. Pour moi c’est la base du métier. Malheureusement aujourd‘hui on ne prend plus le temps de faire les choses, par manque de temps et/ ou de formation.
À cette époque, on n’avait pas besoin de se justifier sur la provenance, l’alimentation, l’abattage, la prise d’antibiotiques, etc. C’étaient des petits élevages avec des animaux bien nourris, heureux et tout le monde vivait bien. Aujourd’hui, on doit rassurer le client et faire le constat que malheureusement les élevages deviennent plus gros et les relations avec les éleveurs changent même si je reste persuadé que les agriculteurs peuvent vivre de leur métier s’ils en ont la volonté. Ce n’est pas la peine d’avoir de grosses structures, il suffit d’avoir le bon produit au juste prix.
« Travailler en étroite collaboration avec des éleveurs de confiance est essentiel à mes yeux. »
12- Comment avez-vous fait pour sélectionner les éleveurs avec qui vous travaillez aujourd’hui ?
On m’a contacté pour un projet qui n’a finalement pas abouti mais qui m’a permis de faire un tour de France pendant six mois. J’ai ainsi pu découvrir d’autres élevages, d’autres cultures, d’autres façons de faire. Travailler en étroite collaboration avec des éleveurs de confiance est essentiel à mes yeux. Certains sont d’ailleurs devenus des amis avec qui je partage la même éthique et les mêmes valeurs. Et puis je travaille toujours avec les éleveurs locaux que je connais depuis des décennies
13- Travailler avec des partenaires de confiance garantit-il une bonne viande ?
Oui et non. C’est un produit vivant, ce n’est pas parce qu’une vache a été élevée dans de bonnes conditions qu’elle sera « bonne ». Il arrive aussi que Dame Nature ait décidé qu’elle soit dure alors que sa sœur qui a la même génétique est plus tendre. Après, c’est à moi de savoir ce que je vends et comment je le vends.
« Il ne faut pas manger de la viande tous les jours. »
14- La qualité est-elle synonyme de prix élevés ?
Eh bien pas tant. Mise à part la volaille, si l’on compare le prix d’un kilo de viande industrielle avec la nôtre, il n’y a pas tant d’écart. On le dit et on le répète il faut manger moins mais mieux. Personnellement, je pratique les mêmes tarifs en ville qu’en campagne, sauf pour les viandes maturées( maturation longue) qui ont un coût, entre 60 et 140€ le kilo et que je ne fais qu’aux Halles.
15- Qu’est-ce qui caractérise une viande maturée ?
Toutes les viandes que nous travaillons sont plus ou moins maturées entre trois semaines et trois mois. Nous travaillons avec des viandes du monde entier. Pour la maturation « longue » on ne prend que ce que l’on appelle les aloyaux c’est-à-dire le dos (côtes, faux-filet-rumsteck).
Pour faire simple, la maturation est un phénomène enzymatique qui dégrade les tissus conjonctifs de la fibre musculaire, ce qui va l’attendrir. Ce phénomène est durable pendant trois semaines voire un mois. Au-delà, le gras va rancir et apporter un goût de noisette et de foie gras qui va avoir tendance à uniformiser les saveurs. Il sera alors difficile de faire la différence entre une vache portugaise, écossaise ou irlandaise par exemple.
16- Les races étrangères ont-elles une typicité particulière ?
Oui, ce sont des goûts que l’on ne retrouve pas en France. Une Galice espagnole, une Minhota portugaise, une Black Pearl polonaise, le vrai Angus Aberdeen sont des races fantastiques ! J’ai découvert cette diversité en étant jury pour le meilleur steak du monde en Angleterre (le World Steak Challenge). Il y a de belles choses à découvrir partout.
C’est d’ailleurs en rencontrant des éleveurs de porcs noir de Bigorre que j’ai découvert la Poule noire d’Astarac-Bigorre, une poule de Gascogne en voie de disparition qu’ils ont remise au goût du jour et que je propose aujourd’hui à côté du poulet de Bresse. C’est un poulet élevé en pleine nature, presque sauvage à la chair rouge et ferme. Pour le sublimer il faut le faire cuire à 140 degrés pendant 2h puis le laisser reposer, le résultat est merveilleux ! Pour l’anecdote historique, il s’agit de la fameuse poule avec laquelle on préparait la poule au pot d’Henri IV.
17- À quoi ressemble une journée type ?
La journée démarre à 5h du matin avec la réception des marchandises. Une partie de l’équipe prépare les commandes des restaurants pendant que l’autre met le magasin en place et monte la vitrine. Ensuite, certains sont à la vente pendant que d’autres s’occupent de découper les carcasses (coupe de gros), désosser, séparer les muscles et parer (enlever les parties indésirables). Il y a également une partie d’épluchage c’est-à-dire mettre les muscles à vif pour faire un rôti ou des pièces à bifteck par exemple et puis le ficelage (rosbeef, rôti de veau/porc). Nous faisons également des spécialités bouchères cru avec lesquelles on essaye de valoriser les bas morceaux (kefta, maki de bœuf….). Puis nous nous adaptons à la saison : brochettes en été, agneau pour Pâques, volailles à Noël.
18- Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui vous inspire ?
« Tuer ses désirs c’est éviter de les réaliser ». C’est une citation de Freud que j’aime bien. Cela signifie qu’il faut vraiment faire ce dont on a envie dans la vie et ne pas avoir peur d’y aller.
19- Quel est votre projet pour demain et/ou un rêve que vous souhaiteriez réaliser ?
Devenir bon au golf (rires). Malheureusement je n’ai pas tellement le temps de pratiquer mais c’est un moment de détente qui me permet de tout oublier.
Mon rêve professionnel je l’ai réalisé avec cette boucherie aux Halles. Je me suis donné la chance et les moyens d’y parvenir, ce qui fait écho à la citation de Freud. J’ai découvert les Halles en 96 lors du concours national au Sirha. J’avais 32 ans, j’ai vu Monsieur Trolliet avec son col bleu-blanc-rouge. C’était ça mon rêve. Il m’aura fallu 23 ans pour le réaliser. Tout ceci j’ai pu le concrétiser avec le soutien de ma famille et notamment de mon épouse qui m’a épaulé et soutenu tout au long de mon parcours.
Boucherie Massot
Halles de Lyon Paul Bocuse
102, cours Lafayette
69003 Lyon
Tél : 04 78 62 31 75
Site web :Boucherie Massot – Halles de Lyon
Photos : Virginie Bouvard / IG @cloporte75