Il m’en aura fallu du temps pour aborder ce sujet si divergent. C’est en découvrant l’engagement de Mickaël Machabert envers son troupeau et sa volonté de mettre en place un système de production le plus éthique et vertueux possible que j’ai décidé de franchir le cap. Sans tabou, cet éleveur laitier en agriculture biologique nous parle de son métier, de son passage de chez Lactalis à Biolait, de l’intolérance au lactose, de l’amour qu’il porte à ses bêtes et de la douleur éprouvée au moment de devoir s’en séparer.
1- Pouvez-vous vous présenter ?
Mickaël Machabert, j’ai 43 ans et je suis éleveur laitier en agriculture biologique. Je suis installé sur la ferme de mes parents que j’ai reprise en 2003. L’exploitation est à taille humaine : Si on compte le renouvellement, je possède soixante bêtes dont quarante-cinq laitières pour une surface de cinquante-huit hectares, essentiellement en prairie. Dix hectares sont alloués à la production de maïs et de céréales pour nourrir le troupeau.
2- Avec quoi nourrissez-vous vos vaches ?
Le pâturage est un point essentiel de la ferme. L’année passée j’ai pu faire pâturer de l’herbe pendant 268 jours. En ce moment, c’est ce qu’elles mangent. En hiver, elles ont de l’herbe séchée au sol et ramassée en bottes autour desquelles on met du plastique, c’est ce qu’on appelle de l’enrubannage. Après, elles ont de l’ensilage de maïs. Avec une ensileuse, le maïs récolté sur la ferme est broyé et mis dans un boudin. En termes de conservation, c’est le même principe qu’une boîte de conserve. Outre le maïs, je leur donne également un mélange de céréales qui sont moissonnées au mois de juillet et transformées en farine. En période hivernale, on leur donne 1 à 2 kg de farine par jour.
« Selon une étude parue en 2009, un actif agricole fait vivre sept personnes autour de lui. »
3- Pourquoi avez-vous fait le choix de passer en agriculture biologique ?
Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ça faisait longtemps que la conversion en agriculture bio me trottait dans la tête, mes pratiques n’en étaient pas très éloignées. Je me suis toujours dit que les anciennes générations parvenaient à nourrir leurs vaches, et par extension le monde, sans chimie.
En 2008-2009, il y a eu un premier déclic avec la grève du lait. Je me suis beaucoup investi dans cette manifestation jusqu’au moment où je me suis aperçu que ça n’allait pas déboucher sur grand-chose, les paysans n’étant pas encore prêts à franchir le pas. Dès lors, j’ai préféré me concentrer sur la ferme et notamment sur une méthode de production qui ne nécessite pas l’usage d’une multitude d’intrants qui font marcher toute une industrie agro-industrielle (marchands d’engrais, de semences, de produits phytosanitaires).
Selon une étude parue en 2009, un actif agricole fait vivre sept personnes autour de lui, bien souvent des gens qui se font de l’argent sur le dos des paysans.
4- De Lactalis à Biolait ?
Autre déclic, avant j’étais chez Lactalis. Ils m’ont fait signer un contrat de cinq ans reconductible qui m’engageait à livrer le volume de lait demandé mais le prix lui était fixé ultérieurement, en fonction d’éléments extérieurs (marchés). En aucun cas ils ne prenaient en compte ce que le litre de lait nous coûtait à produire. Je n’ai pas voulu signer la première mouture mais j’ai dû m’y résoudre, faute de quoi la ferme risquait d’en prendre un coup.
En 2014, la laiterie Biolait a été fondée par six producteurs animés par l’envie de développer le bio à petite échelle. Au fur et à mesure, ils ont accepté d’autres producteurs qui voulaient franchir le cap de la conversion. Aujourd’hui nous sommes environ 1350 fermes à appartenir à cette coopérative. Pour ma part, j’ai franchi le pas en 2017 et j’ai pu commencer à livrer mon lait en bio le 1er janvier 2019. Depuis, je continue à mettre en place des techniques qui me permettent de travailler le plus sainement et vertueusement possible.
5- Comme le séchage en grange ?
Quand on fauche de l’herbe pour faire des stocks pour l’hiver, il y a plusieurs solutions pour le conserver :
- L’ensilage : C’est une méthode naturelle pour conserver l’herbe fraîche. L’herbe est fermentée en milieu humide (principe de conservation par fermentation lactique anaérobie).
- L’enrubannage : Tout comme l’ensilage il s’agit également d’un mode de conservation par voie humide. Le fourrage est pressé en balles et entouré d’un film plastique.
- Le foin : Il s’agit d’une technique de séchage par déshydration mais qui n’est possible qu’en été.
- Le séchage en grange : Il s’agit d’un système de séchage par ventilation artificielle. On récupère l’air chauffé naturellement (toit solaire, méthanisation, etc.) que l’on renvoie à travers des grilles sous un tas de foin. Le foin sèche plus rapidement, garde une belle couleur verte ainsi que ses valeurs nutritives en minéraux et en oligoéléments. Il existe même du thé de foin pour la consommation humaine, c’est dire !
J’espère pouvoir mettre en place le séchage en grange pour le printemps 2022. Et si c’est possible, nourrir mon troupeau qu’avec du foin pour passer en lait de foin.
6- Le fait de nourrir vos vaches avec du foin a-t-il un impact sur le goût du lait ?
En effet, les fromagers préfèrent le lait produit avec du foin pour plusieurs raisons : il est plus régulier, il a davantage de propriétés fromageables pour la transformation, et pour finir, il a plus de rendement fromager. Qui plus est, les arômes sont plus démonstratifs.
7- Est-on vraiment fait pour boire du lait ?
Lorsque j’ai fait des démonstrations pour la marque FaireFrance en magasin, j’ai été surpris par le nombre de personnes qui étaient intolérantes au lactose. Est-ce que cette recrudescence est liée à ce que les vaches mangent ou au fait que les habitudes alimentaires évoluent ? Il faut peut-être pointer du doigt les industriels qui, quand ils reçoivent le lait des fermes, séparent la matière grasse pour faire du beurre ou de la crème qu’ils vendent cher à leurs clients. Cette dernière est alors remplacée par d’autres produits moins onéreux. C’est la raison pour laquelle vous avez l’impression de boire de l’eau en consommant du lait demi-écrémé industriel.
8- À quoi ressemble une journée type ?
Le matin je me lève à 5h50. En ce moment les vaches sont à la pâture la nuit. Je vais donc chercher le troupeau qui est au pré pour la traite qui dure en moyenne une heure. Vers 7h30, je vais nourrir les veaux au biberon. Je pars changer le fil de la clôture électrique dans les pâtures.
Je pratique un système de pâturage tournant dynamique. Le principe c’est de changer le troupeau de place tous les jours, en tournant sur trois parcelles. Si on laisse les vaches quelques jours au même endroit, elles mangent l’herbe qui repousse, plus tendre et plus appétente.
L’inconvénient c’est que les réserves se trouvent dans les quatre à cinq premiers centimètres. Si elles commencent à brouter la gaine, la plante va avoir moins de réserves ce qui va la rendre plus sensible au stress (hydrique, chaleur).
Une fois la parcelle préparée, j’emmène les vaches à la pâture. Je reviens à la ferme et casse la croûte. Après c’est suivant l’époque. Je peux entretenir le matériel, travailler dans les champs ou gérer l’administratif. Vers 13h30, après avoir emmené les enfants à l’école, je repars dans les champs faire les travaux qu’il y a à faire. Vers 18h il faut retraire les vaches puis redonner le biberon aux veaux. Ma journée se termine vers 20h, après avoir préparé la pâture pour le lendemain matin. On ne sait jamais, s’il y a un vêlage je préfère que tout soit prêt et ne pas être pris au dépourvu.
9- Comment se passe le sevrage des veaux ?
En général, je laisse les veaux pendant 12 heures avec leur mère. Cela leur permet de boire la quantité de lait qu’ils veulent, à bonne température. J’ai fait le choix de leur donner le biberon passé ce délai. En effet, plus on laisse une vache et son veau ensemble, plus l’attachement est fort et la séparation difficile. En les séparant au bout de 12h, la vache réclame son petit le premier jour uniquement. C’est plus facile pour eux et pour moi également. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu une vache réclamer son veau. C’est un cri qui crève le cœur. C’est profond, ça prend aux tripes.
Certains éleveurs ont choisi l’option de prendre des vaches avec un bon instinct maternel qui acceptent les veaux des autres mères. C’est ce qu’on appelle des vaches nourrices.
Il y a beaucoup de solutions et d’approches différentes à mettre en place. Quand on fait un choix, il faut peser les avantages et les inconvénients. Et se rappeler qu’on élève du vivant, que chaque animal ne réagira pas de la même façon face à une situation.
« Bon nombre de gens ne se rendent pas compte du déchirement d’emmener son animal jusqu’à la mort. C’est la réalité du travail d’éleveur dans laquelle la mort fait partie de la vie. »
10- Quelle est votre position sur l’abattage ?
Quand on les fait naître on sait qu’elles vont mourir sur l’exploitation. Notre rôle est de les accompagner tout au long de leur vie du mieux que l’on peut jusqu’à l’étape finale. L’idéal en matière de bien-être animal serait l’abattage à la ferme. Malheureusement ce n’est pas encore autorisé.
Même si c’est difficile de voir mourir un animal dont on s’est occupé pendant dix ans voire plus, cette méthode nous permettrait de maîtriser les conditions d’abattage tout en ayant le sentiment de les accompagner plutôt que de les abandonner dans des chars à bestiaux.
On espère toujours que ça se passera bien mais on n’est pas là pour le voir. C’est une question compliquée. Dans les petits abattoirs ça va. Mais dans les gros, l’organisation est industrielle. Les gens éloignés du terroir ont une vision utopiste des choses. Et bon nombre ne se rendent pas compte du déchirement d’emmener son animal jusqu’à la mort. C’est la réalité du travail d’éleveur dans laquelle la mort fait partie de la vie. Si on choisissait de garder les vaches improductives sur l’exploitation, il n’y aurait plus assez d’alimentation pour les autres.
11- Quelle est la différence entre un veau de lait et un veau sous la mère ?
– Veau de lait : Le petit est nourri qu’avec du lait, au biberon. La viande est d’une couleur blanche à rosé clair.
– Veau sous la mère : Le petit suit sa mère à la pâture où il y mange un peu d’herbe. La viande est de couleur rosée rouge. Il s’agit là d’un intermédiaire entre le veau de lait et le bovin.
12- Quelles sont les contraintes en agriculture biologique ?
Le cahier des charges impose qu’il n’y ait ni pesticides, ni intrants chimiques. Nous soignons les bêtes avec des traitements homéopathiques. Ça fonctionne très bien. En travaillant plus sainement j’ai pu constater une baisse des frais vétérinaires. Les vaches mangent de l’herbe, c’est naturel. On ne les supplémente pas avec une quantité phénoménale de granulés. Après, je pense qu’il faut aller plus loin dans la démarche en remettant en question son système d’exploitation afin de le rendre le plus autonome, économe et vertueux possible. L’objectif est de produire du mieux que l’on peut avec ce que l’on a.
« Ma volonté est d’essayer de produire de la manière la plus qualitative et naturelle possible afin de permettre aux gens d’apprécier un produit qui n’est pas dénaturé. »
13- Une envie d’aller encore plus loin, vers de l’agroécologie ?
Je me suis pris au jeu lors de la conversion bio. J’ai suivi des formations qui m’ont permis de pointer du doigt des choses à améliorer sur l’exploitation, comme le pâturage tournant dynamique. Quand on commence, on n’a plus envie de s’arrêter. J’aimerais planter des arbres. Ne plus utiliser de plastique ni de consommable. Aller encore plus loin dans la démarche.
Aujourd’hui, je me sens animé par un tout qui fait aller de l’avant. J’apprends également beaucoup au contact des anciens. Ma volonté est d’essayer de produire de la manière la plus qualitative et naturelle possible afin de permettre aux gens d’apprécier un produit qui n’est pas dénaturé. Qui plus est, je ne sais pas ce que mes enfants voudront faire plus tard mais s’ils le souhaitent j’aimerais leur donner l’opportunité de reprendre la ferme et qu’elle soit saine.
14- Est-ce intéressant financièrement de passer du conventionnel vers de l’agroécologie ?
Oui, on respire à nouveau aujourd’hui ! Chez Lactalis il fallait certes produire plus, mais en ajoutant beaucoup d’intrants qui ont un coût. Le prix du bio est plus élevé. Il nécessite plus de travail mais au final comme nous avons moins de charges, nous faisons des économies. C’est un cercle vertueux.
15- Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ ou une citation qui vous inspire ?
« Plus la montagne est haute, plus la victoire est belle. »
16- Quel est votre projet pour demain et/ ou le rêve que vous souhaiteriez réaliser ?
Je souhaiterais mettre en place le séchage en grange sur la ferme, gagner en autonomie et en vertuosité sur l’exploitation.