Minimaliste et discret, le MOF Chocolatier Philippe Bel n’en est pas moins passionné. Sa philosophie : vendre uniquement ce qu’il fabrique pour en maîtriser toutes les subtilités. Et de subtilité ses chocolats artisanaux n’en manquent pas ! D’un B barré plein d’humilité, ils suscitent l’émotion tout en laissant une empreinte sensorielle durable.
1- Quel est votre parcours ?
À l’âge de 15 ans, j’ai fait un préapprentissage dans une maison des Yvelines où l’on m’a initié à la pâtisserie. J’ai ensuite intégré la société Cacao Barry où j’ai découvert pour la première fois l’univers du chocolat. Mes années de CAP m’ont permis de comprendre que j’avais une véritable affinité pour cette matière ainsi que pour le travail des glaces.
Diplôme en poche, je suis retourné chez Cacao Barry où j’ai appris beaucoup de choses sur la fève et la transformation du chocolat en milieu industriel. Par la suite, j’ai eu la chance d’intégrer une petite chocolaterie : chez Maiffret sur les Champs-Élysées. J’ai ensuite rejoint la Maison Lenôtre en tant que responsable de production.
L’envie d’évoluer m’a conduit chez Weiss. Ma hiérarchie a remarqué que je travaillais le chocolat de manière instinctive. Elle m’a rapidement proposé la direction de la production de la chocolaterie et de la confiserie.
En 2004, j’ai remporté le titre de Meilleur Ouvrier de France. En 2006, j’ouvrais ma première boutique à Montbrison. Le début d’une nouvelle vie.
2- Pourquoi avez-vous passé le concours de MOF Chocolatier ?
Je me suis inscrit au concours du Meilleur Ouvrier de France grâce à la Maison Lenôtre, et plus particulièrement à mon collègue et ami Thierry Atlan, que j’ai accompagné lors de ses entraînements. Le jour où il a été sacré MOF Chocolatier, il m’a tendu sa veste en disant : «La prochaine fois, ce sera toi». Il existait une vraie émulation au sein de cette Maison, une énergie collective qui poussait à se dépasser.
Je me suis inscrit une première fois en 2000, mais l’épreuve artistique m’a fait défaut. Je me suis réinscrit en 2004. J’ai alterné entraînements intensifs et moments de détente en famille, ce qui m’a permis d’aborder le concours avec plus de sérénité. Je suis d’une nature exigeante. Je pense que c’est un trait de caractère nécessaire pour atteindre un haut niveau de qualité.

3- Qu’est-ce qui a motivé votre implantation à Montbrison ?
Je suis venu dans la région pour intégrer la Maison Weiss, dont le laboratoire est situé à Saint-Étienne. C’est dans cette entreprise que j’ai rencontré ma femme Cécile, qui travaillait au pôle marketing, commercial et comptable.
Nous avons choisi Montbrison pour des raisons familiales et pour la qualité de vie. Cette ville de 15 000 habitants offre une ambiance paisible qui me ressemble et dans laquelle je me sens bien.
4- Qu’est-ce qui vous a conduit à ouvrir une boutique à lyon ?
En 2007, mon travail a attiré l’attention des Japonais lors du Salon du Chocolat de Tokyo. Ce sont des clients fidèles, très attachés à l’émotion, ce que j’apprécie particulièrement. Lorsqu’ils venaient en France, ils devaient aller jusqu’à Montbrison pour me rencontrer. En 2009, la boutique de la rue Tupin dans le 2ème arrondissement de Lyon, a vu le jour.
5- Souhaitez-vous développer d’autres boutiques ?
À l’origine, mon souhait était de travailler seul avec ma femme dans la boutique de Montbrison. Il s’avère que la demande a augmenté et que nous avons fait le choix d’y répondre.
En 2013, nous avons déménagé le laboratoire à Andrézieux-Bouthéon afin de pouvoir produire dans de meilleures conditions. À la rentrée de septembre, de nouveaux travaux sont prévus afin d’agrandir l’espace de 400 m2 supplémentaires, pour pouvoir stocker les fèves de cacao.
Aujourd’hui, la chocolaterie Philippe Bel compte une dizaine de collaborateurs, tous sites confondus. Je tiens à préserver une structure à taille humaine afin de rester proche du processus de création. Je ne veux pas perdre mon âme pour pouvoir continuer à transmettre aux gens de belles émotions.
6- Torréfiez-vous vos fèves ?
C’est un projet qui me tient à cœur et qui aurait dû se concrétiser cette année. Toutefois, par manque d’espace pour le stockage des fèves, sa mise en œuvre est reportée à l’année prochaine. En attendant, je travaille à partir de pâte de cacao.
L’inconvénient de travailler à partir de la pâte plutôt que de la fève réside dans la perte de maîtrise de nombreux paramètres, tels que le temps et le degré de torréfaction, ainsi que les conditions de conditionnement, de stockage et de transformation des fèves.
Or, chacun de ces éléments influence directement le profil aromatique du chocolat. Travailler à partir de la fève me permettra d’exercer un contrôle bien plus fin sur l’ensemble de la chaîne de production. Je pourrai ainsi proposer exclusivement ce que je fabrique moi-même, en parfaite cohérence avec ma philosophie.
7- Combien de variétés de fèves utilisez-vous ?
À ce jour, neuf. Je travaille exclusivement des fèves transformées en pâte de cacao, issues de Côte d’Ivoire, de Madagascar, d’Équateur, du Venezuela, de São Tomé, du Pérou, du Vietnam, du Ghana et de Colombie.
8- Chaque chocolat raconte-t-il une histoire ?
Très souvent, oui. Prenons l’exemple du chocolat framboise–romarin. Un jour, une cliente nous a parlé de son jardin, et plus précisément de l’association de la framboise et du romarin. Deux plantes qu’elle cultive côte à côte, et dont les parfums s’accordent avec élégance. Elle m’a suggéré d’explorer l’accord, et je me suis lancé.
J’ai d’abord travaillé une ganache à la framboise, avant d’opter pour une pâte de fruit afin de gagner en intensité. Il m’a fallu trois essais pour obtenir ce que je voulais : un goût fruité sublimé par l’extrait naturel de romarin.
9- Proposez-vous des associations audacieuses ?
Oui, le chocolat curry-coco, par exemple. Cette recette est directement inspirée d’un plat que j’affectionne particulièrement : le curry d’agneau au lait de coco. L’intitulé peut surprendre, mais l’ajout de pâte d’amandes vient adoucir la puissance épicée du curry. C’est très équilibré.
10- Des chocolats à moins de 100€ le kilo : une volonté d’être accessible à tous ?
On entend souvent dire : « Si c’est cher, c’est que c’est bon ». Je ne partage pas cette idée. Mon ambition n’a jamais été financière. Mon moteur, c’est de pouvoir vivre correctement de mon travail tout en transmettant mon plaisir au plus grand nombre. Proposer des prix raisonnables n’exclut en rien l’exigence de qualité, bien au contraire.
Comme la culture dans un musée, l’accès à des produits de qualité devrait être ouvert à tous. Bien sûr, il y a des charges, et personne ne me fait de cadeaux. Mais rester accessible fait partie intégrante de ma philosophie, et je continuerai dans cette voie.

11- Quelle citation vous inspire ?
« Fuis la gloire et les honneurs » et « Sois honnête avec toi-même ». Je crois qu’il ne faut jamais cesser de se remettre en question, ni se contenter de ce que l’on fait.
12- Quels sont vos projets pour demain ?
Poursuivre ce que j’ai construit et aller plus loin dans le travail à partir de la fève de cacao. J’y parviens progressivement. Mon seul regret est de m’être lancé tardivement en indépendant. Je n’en profiterai pas aussi longtemps que je l’aurais souhaité. En revanche, je suis fier d’avoir bâti une entreprise transmissible, capable d’être reprise par quelqu’un qui en partagera l’âme et la philosophie, et qui saura faire perdurer ce qui a été créé avec passion.
Philippe Bel
27, rue Tupin
69002 Lyon
Tél : 04 78 42 87 94
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Photos hors couverture : Site Philippe Bel




