Références gastronomiques

Christine Ferber, Maison Ferber

4 février 2023
Portrait de Christine Ferber.

Christine Ferber est née dans une famille de boulangers dans le village de Niedermorschwihr. Un métier qu’elle a souhaité exercer et diversifier. Surnommée la « fée des confitures », ses créations sont plébiscitées par les grands chefs (Pierre Hermé, Alain Ducasse, etc.) et reconnues à travers le monde. Il faut dire que Christine Ferber a fait le choix de la qualité au détriment de la rentabilité pour préserver le goût et la texture de ses produits. L’entreprise familiale participe également à préserver et faire rayonner le patrimoine gastronomique alsacien à travers des recettes traditionnelles aux saveurs d’enfance. Un témoignage plein de douceur et de poésie qui nous rappelle que la patience est une vertu.

Confiture de griottes par Christine Ferber.

1 – Quel est votre parcours ?

Je suis fille, petite-fille et arrière-petite-fille de boulangers. J’ai appris le métier de boulanger-pâtissier-confiseur-chocolatier-glacier dans une école à Bruxelles. À l’époque, aucun patron ne prenait de femmes en apprentissage en France. Mon apprentissage terminé, j’ai passé le concours de la coupe de France des jeunes pâtissiers que j’ai gagné en 1979. Cette victoire m’a permis d’obtenir une place au sein de la prestigieuse Maison Peltier située à Paris. Après une année enrichissante aux côtés de Lucien Peltier, je suis rentrée à Niedermorschwihr pour oeuvrer au sein de la boulangerie-épicerie-pâtisserie de mes parents. 

J’aime vivre au rythme des saisons, des traditions et des fêtes qui jalonnent l’année. 

2- Pourquoi avez-vous choisi de revenir à Niedermorschwihr ?

J’aime mon village, j’aime vivre à la campagne et je suis heureuse entourée des miens. Après mon expérience parisienne, c’est l’écrin que je souhaitais pour poursuivre mon aventure professionnelle. D’autant plus que tout était à construire en matière de pâtisserie. J’ai eu la chance que mes parents me laissent les mains libres pour créer et faire ce que je voulais. Ça a été très agréable de travailler avec eux. 

En outre, l’Alsace est une région fantastique. J’aime vivre au rythme des saisons, des traditions et des fêtes qui jalonnent l’année. 

3- Comment a évolué la maison Ferber ?

En plus de son pain, de ses viennoiseries et de ses excellentes glaces, mon papa faisait de très bons gâteaux le week-end et les jours de fêtes. Sa recette de Forêt Noire n’a pas changé depuis 65 ans. Il a également créé le Kouglof glacé en 1963 qui est devenu un grand classique de la pâtisserie alsacienne

Dès les années 80, j’ai développé la pâtisserie et le chocolat tout au long de l’année, puis la confection de confitures. La presse a commencé à s’intéresser à mon travail. À partir de 1996, j’ai écrit une douzaine de livres qui parlaient de confitures, de pâtisseries, d’aigre doux, de terrines et de pâtés. Et surtout j’ai continué à oeuvrer dans ma cuisine. Aujourd’hui encore je suis à mon ouvrage du matin au soir. 

4- Quand avez-vous repris les rennes de la Maison Ferber ?

Nous avons repris l’entreprise familiale avec mon frère et ma soeur en l’an 2000. J’ai toujours eu à coeur de continuer à faire ce que mon papa faisait – des produits de qualité avec passion – tout en ajoutant de nouvelles confections à cette maison. Notre gamme s’est enrichie mais nous proposons encore tous les produits qu’il faisait à l’époque. 

En matière de transmission c’est exceptionnel. La tradition et les recettes perdurent à travers le temps et les générations dans notre Maison. Notre savoir-faire participe également à entretenir le patrimoine gastronomique alsacien. Nous sommes dans une région où les familles ont plaisir à se réunir autour d’une table pour partager et retrouver avec nostalgie des saveurs d’enfance. 

5- Boulanger-pâtisser-confiseur-chocolatier-glacier, pourquoi avoir fait le choix de la diversité ?

Pour des questions de rentabilité on a tendance à se spécialiser dans un domaine aujourd’hui. Pour ma part, j’ai toujours eu envie de maîtriser toutes les couleurs de métier que représente la palette du pâtissier-confiseur. Enfin, même après 45 ans de métier j’apprends encore. La matière étant vivante, une nouvelle petite épreuve se présente chaque jour. Il y a un risque dans toute fabrication et je crois que c’est ce qui me plait. Je n’aime pas quand le chemin est trop facile.

J’ai commencé à cuisiner les fruits avec la volonté de retrouver les jolies couleurs et les belles textures des confitures de ma grand-mère. 

6- D’où vient votre sensibilité pour les confitures ?

Nos parents étant bien occupés à l’épicerie-boulangerie, nous étions souvent chez nos grands-parents dans le village d’Obermorschwihr en fin de semaine. Ma grand-mère faisait ses conserves et ses confitures. Dans la remise, au-dessus d’une armoire d’un bleu délavé, il y avait une étagère sur laquelle reposaient des mirabelles, des quetsches et des cerises en conserve. Elle nous les servait toujours en dessert avec de la semoule chaude. À côte de ces conserves, il y avait des pots de confitures. J’ai commencé à cuisiner les fruits avec la volonté de retrouver les jolies couleurs et les belles textures des confitures de ma grand-mère. 

Bassines en cuivre où cuisent les confitures de Christine Ferber.

7- Comment avez-vous commencé à faire des confitures ?

En 1984, j’ai reçu un panier de griottes de Montmorency. Au lieu de les mettre dans un bocal rempli d’alcool pour garnir nos forêts noires, j’en ai fait une confiture. Maman m’a rappelée qu’avec ma grand-mère elles étaient en charge de la confection des confitures. Je lui ai dit que ces pots serviraient à décorer la vitrine que je souhaitais faire sur le thème de la cerise. Ces pots n’étaient initialement pas destinés à la vente mais à la 6ème demande client, nous avons fini par accepter. C’est ainsi que l’histoire a commencé. 

8 – Comment atteindre l’excellence ?

Au départ il y a l’envie de faire ce que l’on aime, comme on l’aime, ce qui est très compliqué aujourd’hui. Cela implique de trouver une matière première exceptionnelle. J’ai la chance de travailler avec certains agriculteurs alsaciens depuis 40 ans. Ce long chemin que nous avons tissé sur des années participe à l’excellence. 

Pour faire un produit d’excellence il faut un fruit d’exception. C’est la raison pour laquelle je n’ai choisi de travailler que des fruits frais cueillis à maturité. Je les cuisine le jour de la récolte ou le lendemain matin. Par respect pour notre client qui nous a choisi, j’essaye d’en faire quelque chose de beau au goût et à la texture préservés. 

Préparer une confiture artisanale prend du temps. Il faut compter 2h à 2h30 pour faire environ 15 pots. 

9- Faut-il de la patience pour atteindre l’excellence ?

J’ai refusé d’industrialiser notre production pour préserver la qualité de nos produits. Nous faisons des petites cuissons de 4kg de fruits maximum dans des bassines en cuivre. Nous mélangeons doucement la préparation avec des cuillères en bois. J’ai pu imposer cette manière de faire car j’avais en parallèle mon activité de boulangerie-pâtisserie-chocolaterie. Préparer une confiture de manière artisanale prend du temps. 

Pour faire une confiture de pommes, il faut acheter les fruits (2€/kg), les éplucher, les vider, les couper, les cuire une première puis une deuxième fois, les mettre en pot, coller les étiquettes, poser les tissus à l’aide d’un élastique et faire un petit noeud autour pour la finition. Il faut compter 2h à 2h30 pour faire environ 15 pots. 

Les pommes et les poires sont les fruits qui prennent le moins de temps. Quand je reçois les agrumes bio non cirés de mon ami Laurent Boughaba à Fès, nous enlevons tous les pépins à la main. Il en est de même pour les cerises que nous dénoyautons à l’aide d’un outil que mon papa nous avait confectionné à l’époque : une épingle à chignon légèrement courbée piquée sur un bouchon de vin. La pulpe de la cerise étant fragile, cet outil nous permet d’ôter le noyau sans abîmer le fruit. Ainsi, le jus ne s’échappe pas à la cuisson.  

La matière est vivante. Il est nécessaire de faire des gestes justes et doux pour abîmer le moins possible le fruit. On ne sublime rien. Il faut que l’on reste humble face à un produit qui est sublime par nature.

Il faut rester humble face à un produit qui est sublime par nature et faire des gestes doux pour l’abîmer le moins possible.

Kouglofs traditionnels de la Maison Ferber.

10- Comment créez-vous les associations de saveurs des confitures ?

Selon mes envies. L’an passé j’ai associé la griotte avec des baies de poivre rose. C’est une confiture qui s’accorde à merveille avec du fromage de chèvre frais. Les baies de poivre rose apportent un côté piquant et floral très intéressant. 

À ce jour j’ai composé 1400 recettes différentes. Le fait de travailler chaque jour une autre matière me motive. Mais il faut rester humble. Notre tâche de composition est grandement facilité par le fait que nous pouvons disposer à presque n’importe quel moment des produits provenant du monde entier. Je ne considère d’ailleurs pas ce que je fais comme de l’invention ou de la création mais comme un travail de composition.

11- Quels sont les parfums phares de vos confitures ?

Les parfums classiques plaisent beaucoup. Il y a la framboise que l’on aime particulièrement en Alsace, la framboise-violette, l’orange Maltaise, la fraise Charlotte, la rhubarbe, la cerise griotte. L’abricot est également très demandé. Je travaille des abricots Bergeron de la vallée du Rhône, ce sont ceux que je préfère. Les compositions plaisent également mais plus dans une démarche d’offrir quelque chose d’original.

12- Certains parfums sont-ils amenés à disparaitre ?

Le changement climatique influence en effet notre production. L’an dernier la saison s’est bien présentée pour les myrtilles. Nous sommes montés sur les crêtes des montagnes vosgiennes, côté Alsace, les fruits étaient beaux. Malheureusement l’été a été sec et elles ont pris un coup de chaud. J’ai pu travailler 60 kg de myrtilles en 2022 contre 1500 kg en 2021. Certains fruits se font de plus en plus rares en raison du climat. En outre, de nombreuses zones deviennent des parcs protégés où la cueillette est interdite. Certaines choses vont être amenées à disparaître. 

13- Quelle est l’histoire de la confiture Ispahan avec Pierre Hermé ?

La maman de Pierre Hermé est native de mon village. Elle a épousé M. Hermé qui était boulanger à Colmar. Pierre Hermé et moi sommes liés d’amitié depuis toujours. 

De mémoire, il a créé l’association Ispahan (framboise-litchi-rose) dans les années 90. Au départ, il s’agissait d’un gâteau. À un moment donné il a souhaité décliner cette association de saveurs dans d’autres produits (pâte de fruits, thé, liqueur, etc.). Il m’a alors demandée de lui confectionner une confiture en deux couches. Je lui ai donc proposé une confiture avec une couche de litchi à la rose et une couche de framboise.

Encore une fois, ce n’est pas une invention. Je faisais déjà une confiture de « vieux garçon » en bi-couche inspirée d’une recette traditionnelle d’antan qui consiste à superposer dans une jarre en terre cuite des couches de fruits rouges entre lesquelles on mettait du sucre et de l’alcool de fruits à noyaux à 45 ou 60 degrés. On laissait reposer la jarre dans une cave fraîche et en octobre on remontait la composition que l’on mélangeait et servait avec une semoule chaude, une brioche fraîche ou encore de la crème fraîche battue. 

14- Une nouvelle collaboration avec Pierre Hermé est-elle prévue ?

Pierre Hermé a souhaité que je compose une confiture rappelant la saveur de son gâteau « Jardin japonais ». J’ai donc travaillé le citron, la griotte de Montmorency qui révèle des saveurs délicates de sakura et la fève tonka pour accentuer le côté fleurs de cerisier séchées. Cette création sera évoquée dans la nouvelle émission sur les ambassadeurs de l’excellence « Ils font rayonner la France » diffusé sur France 3 le mercredi 22 février à 21h10. 

15-Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui vous inspire?

« Ne jamais abandonner et toujours construire avec patience, en se laissant du temps. » On me dit toujours que je parle doucement. C’est vrai, et j’ajoute que je fais les choses doucement également. Mais quand les choses sont plantées, elles sont bien plantées.

16- Quel est votre projet pour demain et/ou le rêve que vous souhaiteriez réaliser ?

Mon rêve serait de ne faire que lire et apprendre, que ce soit dans une bibliothèque, à la maison, dans des villes inconnues…

Avec mon frère, ma soeur et ma belle-soeur nous avons un joli projet en cours. Nous avons construit un nouvel atelier dans une très jolie maison en bois située dans notre village. Elle sera destinée à la confection des confitures et des chocolats. Autour, j’aimerais faire un jardin avec des cognassiers dont j’adore le fruit, des pommiers pour faire de la pectine et des poires que je pourrai faire sécher pour confectionner le fameux Beerawecka, un pain aux fruits composé de fruits secs et de fruits confits macérés dans de l’eau-de-vie. Ce gâteau non levé est traditionnellement servi pendant les fêtes de Noël en Alsace. 

Dans notre maison du 17ème siècle, j’aimerais restaurer les ateliers où nous faisons la boulangerie-pâtisserie-glacerie pour accueillir un petit salon de thé. Ce serait un lieu d’échanges où mon frère pourrait partager sa passion pour le vin et où nous pourrions accueillir des auteurs de livres. Plus on avance dans la vie, plus on a envie de prendre le temps de partager et d’échanger avec les autres. 

Maison Ferber
18, rue des Trois Épis
68230 Niedermorschwihr

Tél : 03 89 27 05 69

Site web

Photo de Christine Ferber :  Christine Hart

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