Journaliste, auteure, cuisinière, consultante, illustratrice, Sonia Ezgulian multiplie les talents. De Paris Match aux Sardines Filantes, en passant par le restaurant l’Oxalis, elle nous parle de son parcours et de ses projets.
1- Quel est votre parcours ?
Je suis Lyonnaise d’origine arménienne. Ma grand-mère était maraîchère à Saint-Genis-Laval. C’était une fée du quotidien. Elle trouvait toujours des astuces amusantes pour m’apprendre à cuisiner. Mes parents voulaient d’ailleurs que je fasse une école hôtelière mais j’ai préféré me tourner vers des études de communication.
N’ayant pas de relations dans la publicité ou le journalisme, j’ai eu du mal à trouver mon premier stage. J’ai postulé un peu partout jusqu’à obtenir un retour positif de Paris Match où je suis finalement restée 10 ans.
La 9ème année, j’ai réussi à imposer une rubrique de cuisine. Mon concept était «un chef, un produit». Pierre Hermé est le premier à s’être prêté au jeu. C’est à ce moment que mon envie d’ouvrir un restaurant est apparue.
2- Comment est né votre restaurant l’Oxalis ?
Avec mon mari Emmanuel Auger, rencontré à Paris Match, nous hésitions entre nous installer à Bruxelles ou à Lyon. Nous avons finalement choisi la capitale des Gaules pour bénéficier du soutien de notre famille. J’ai fait un stage de 6 mois à la Villa Florentine pour apprendre quelques rudiments sur la tenue d’un établissement.
Le 1er mai 1999 ouvrait l’Oxalis. C’était un pari risqué. Je reste d’ailleurs particulièrement touchée par le geste d’encouragement qu’a eu Paul Bocuse en venant manger une glace dans notre restaurant quelques jours après l’ouverture. Nous avons vendu l’Oxalis en 2006. Ce n’était pas tant les journées de 15h qui me gênaient, mais l’absence d’une vie sociale normale. J’aime sortir, aller au restaurant, recevoir des amis à la maison… tout ça me manquait.
3 – Que faites-vous aujourd’hui ?
Je fais un mix entre la cuisine et mon activité de journaliste. J’écris des livres de cuisine, je crée de nouveaux produits pour des marques comme des carnets d’inspirations pour Garofalo ou un bocal de mille-feuilles d’agrumes pour Monsieur Appert, une entreprise ayant pour ambition de remettre la conserve en verre au goût du jour. J’accompagne également les ouvertures de restaurants en créant leurs cartes de visites, en collaborant à l’élaboration de leurs cartes, en choisissant la vaisselle …
« Cuisiner avec des épluchures est née d’une volonté de ne pas gaspiller. Je ne le fais pas par militantisme ou pour me démarquer »
4- Avez-vous une sensibilité pour l’anti-gaspillage alimentaire ?
Cuisiner avec des épluchures est née d’une volonté de ne pas gaspiller. Je sais le temps et le travail que nécessite la culture d’un potager. Quand mon père apportait les légumes à l’Oxalis, ça me faisait mal au cœur de voir tout ce que je jetais en taillant joliment les produits.
Aussi, je me suis demandée comment je pourrais faire accepter à mes clients de payer pour manger des « déchets ». Ma solution : faire une cuisine raffinée avec des épluchures. C’est une démarche que je ne fais pas par militantisme ni pour me démarquer. À mes yeux, c’est du bon sens et une façon de respecter le travail de l’artisan.
5- Souhaitez-vous casser les codes ?
Je suis autodidacte. Je n’ai ni cadre, ni contraintes ce qui me donne une liberté incroyable. Mon modèle a été ma grand-mère que j’ai toujours vu cuisiner à l’instinct. Elle m’a appris qu’une bonne pâte à ravioles devait avoir la même texture que le lobe de mon oreille et à mesurer la bonne température du lait en y plongeant mon petit doigt. Aujourd’hui avec un presse-ail et un économe, je suis capable de réaliser une performance. Après, j’ai beaucoup de détachement vis-à-vis de mon métier. Je ne suis pas en compétition, je m’amuse juste avec passion.
« Mon produit préféré : la sardine, pour son côté économique et populaire. »
6- Quel est votre produit préféré ?
La sardine ! J’aime son côté populaire, économique ainsi que sa boite graphique et providentielle. Vous rentrez de vacances et vous n’avez plus rien dans le réfrigérateur ? Hop, le plaisir de découvrir une boîte de sardines au fond du placard. Elle a cet esprit simple et basique que j’affectionne. Elle peut également surprendre par son grand raffinement dans certaines recettes. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de manger de la sardine dans un restaurant étoilé, c’était fantastique ! Faire du raffiné avec de la simplicité résume bien mes envies culinaires.
7- En quoi consiste votre collaboration avec Garofalo ?
L’équipe de Garofalo m’a contactée après avoir découvert mon univers dans un livre de cuisine. Pour eux, j’ai eu l’idée d’imaginer une série de carnets d’inspirations et de jolis coffrets. Le dernier a fait l’objet d’une édition de 300 exemplaires numérotés.
Dans ces carnets, j’explique ce qu’est l’IGP (Indication Géographique Protégée) et je propose des recettes accompagnées de leur histoire. J’adore savoir comment est née une recette, je trouve que ça donne du sens à un plat.
Paul Bocuse était un visionnaire profondément attaché à l’art de vivre à la française, aux choses simples et vraies
8- Quel est votre rôle pour Le Bocuse Magazine ?
J’ai été sollicitée par les dirigeants des brasseries Bocuse. Ils voulaient m’interroger sur la façon dont j’imaginerai le Bocuse Magazine. À la fin du déjeuner, ils m’ont proposée de tenter l’aventure. À mes yeux, il était important de garder la philosophie de ce grand Monsieur. Paul Bocuse était un visionnaire profondément attaché à l’art de vivre à la française, aux choses simples et vraies. C’est le premier à avoir incité les chefs à sortir de leur cuisine. Il a toujours prôné une cuisine alliant tradition et modernité.
Je suis personnellement très attachée à l’histoire d’un plat ou d’un produit. Néanmoins, il est important d’être dans l’air du temps et de se tourner vers l’avenir. Le Bocuse Magazine est fait 100% maison. Nous sommes une douzaine de collaborateurs aux compétences différentes. Notre point commun : l’expertise, la gourmandise et la passion. Nous sortons un numéro par an, le prochain paraîtra le 5 décembre prochain.
9- Comment composez-vous vos livres de cuisine ?
Depuis toujours, je noircis des carnets. J’en ai partout. Je fourmille d’idées et parfois ça crée des embouteillages dans ma tête. Pour libérer de l’espace, je pose mes pensées sur papier. Ça structure mes projets et ça m’aide à me concentrer.
Aujourd’hui, j’écris des livres de cuisine. J’ai notamment collaboré avec les Éditions de l’Epure, une maison indépendante que j’affectionne et dont la fondatrice, Sabine Bucquet-Grenet a une vraie sensibilité pour le livre et la créativité. J’ai également collaboré avec l’éditeur lyonnais Stéphane Bachès. Non pas que je manque de fidélité. Je choisis la maison en fonction de la synergie entre mon projet et leur ligne éditoriale.
De la genèse jusqu’à la fin, écrire un livre de cuisine me prend en moyenne deux ans et demi. Chaque chapitre est l’occasion d’inviter des amis à goûter les recettes à la maison. Même si je sais que le seul qui osera me dire la vérité est mon mari (rires).
10- Est-ce une force de travailler avec votre mari ?
Cela fait 26 ans que nous vivons et travaillons ensemble. Nous aimons profondément les mêmes choses et les mêmes personnes. C’est ma boussole, le seul qui me dise la vérité, sans filtres. Quand l’un flanche, l’autre est là. C’est une évidence, un vrai travail d’équipe. D’ailleurs, depuis la création de notre entreprise Les Sardines Filantes il y a 12 ans, nous faisons tous les rendez-vous à deux.
11-Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ ou une citation qui vous inspire?
Les petits riens qui changent le quotidien. Que ce soit le mien ou ceux des autres d’ailleurs. Des petites choses, des petits rituels qui apportent un peu de poésie comme traverser un marché ou vous préparer un pique-nique avec de la jolie vaisselle quand vous prenez le TGV. Quitte à déjeuner sur le pouce, autant s’offrir un petit moment privilégié. Ça vide l’esprit et ça donne de l’énergie pour toute la journée.
12– Quels sont vos projets pour demain et ou le rêve que vous souhaiteriez réaliser ?
Concrètement, mes projets pour demain sont de continuer à développer des produits, réaliser une autre BD, écrire un nouveau livre de cuisine. Il y aura aussi la sortie en septembre d’un City Guide sur la ville de Lyon édité chez Menu Fretin pour la collection Le Voyageur Affamé. Il sera sous forme de petit dépliant ludique et fera autant office de plan que de guide indiquant les bonnes adresses à tester. Et si je me mettais à rêver, je changerai encore une fois de vie pour créer des objets.
Sonia Ezgulian
Les Sardines Filantes
Photos : Emmanuel Auger