Références gastronomiques

Julien Gangand, RadioVino

8 novembre 2022
Portrait de Julien Gangand avec La Plume d'Adam.

Julien Gangand nous parle de son engagement et de son amour pour le vin nature (vin contenant uniquement du raisin voire un peu de soufre) à travers ses expériences Immerpif et RadioVino. Une trajectoire à l’image des vins qu’il défend : imprévue, spontanée et vivante. Un brin éco-anxieux, il fait le point sur les conséquences du changement climatique : « Le temps de la vigne est un temps long, ce n’est pas le temps de la connerie humaine qui elle va de plus en plus vite ».

1- Quel est ton parcours ?

Initialement, je ne suis pas issu du monde du vin. J’ai travaillé dans la banque. Ensuite je suis parti un an en Angleterre puis j’ai fait deux ans d’humanitaire dans le cadre de mes études. Au lieu de faire un stage, j’ai fait un VIA (Volontariat International en Administration) à l’ambassade de France au Nigeria.

De retour en France j’ai fait une formation au CEAN (Centre d’Étude d’Afrique Noire) et à Sciences Po sur les risques. Pendant 7 ans j’ai travaillé à Paris sur la gestion et l’anticipation des risques principalement en Afrique (Nigeria, Bénin, Togo). Les interactions avec les autres cultures étaient très intéressantes mais le milieu assez sombre.

2 – Comment es-tu venu au monde du vin ?

J’ai toujours bu. Je ne viens pourtant pas d’une famille de buveurs. Nous sommes de la Champagne mais céréalière, pas viticole. Petit, je n’ai jamais fait les vendanges alors que mes cousins sont vignerons. Mais j’ai toujours eu un côté épicurien. Je me souviens qu’avec mes amis d’IUT on partait faire des week-ends dans la Loire ou en Bourgogne. On allait voir des vignerons, j’aurais dit conventionnels à une époque, je dirais chimiques maintenant. 

Au moment où j’ai eu envie de changer de métier je me suis demandé ce qu’il y avait de bon dans la vie. Le hasard a fait qu’un ami était devenu caviste sur Paris. J’ai pu facilement me faire une première expérience en cave sans avoir de formation dans le vin. Quelques mois avant mon départ, un connaisseur du vin nature a intégré l’équipe. Un week-end il m’a embarqué dans sa maison de famille à Cluny et on s’est retrouvé chez Julien Guillot (Domaine des vignes du Maynes). N’importe quelle personne qui rencontre ce vigneron passionné est obligé de vriller dans le vin nature. Ou tout du moins, ça facilite sa réflexion.

« Fils de paysan, je suis arrivé au vin par la ville, par le comptoir ».

3 – Quels ont été tes premiers amours avec le vin ?

En étant fils de paysan, je suis arrivé au vin par la ville, par le comptoir. J’ai également beaucoup d’affection pour la table. Autant l’objet que le temps qu’on y passe. Parfois accoudé à refaire le monde ou lors de repas qui durent 7h, à manger un peu trop d’ailleurs, mais ça fait du bien.

Il faut dire que je suis incapable de rester chez moi à ne rien faire. Je préfère le côté vivant d’une terrasse de café. M’installer et observer. Ça me fait penser au livre de Georges Pérec « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien ». L’auteur s’est installé quelques jours à une terrasse de café place Saint-Sulpice. Il fait le récit de ce qu’il voit. Chronique d’un quotidien ordinaire. 

« En vinification, quand tu commences à vouloir maîtriser le vin c’est là que tout part en vrille. On interfère sur une matière qui a envie de vivre. »

4- Qu’aimes-tu dans le vin nature ?

L’imprévu. On a de grandes idées mais on ne sait jamais ce que l’on va boire. Les gens qui le font savent ce qu’ils veulent faire mais ils n’ont pas le contrôle et la maîtrise. Une phrase d’un vigneron me revient en mémoire : « En vinification, quand tu commences à vouloir maîtriser le vin c’est là que tout part en vrille.  On interfère sur une matière qui a envie de vivre »

En ce moment je me sens en harmonie avec les vignerons et vigneronnes nature. J’ai la même réflexion qu’elles et eux sur le vin. Moi en tant que buveur (trouver la bouteille chez la bonne personne et la boire dans les meilleures conditions) et eux en tant que faiseurs (tout faire pour que ce soit bon). 

Et puis il y a l’imprévu des rencontres, des émotions, etc. 

5-  Pourquoi les étiquettes manquent-elles autant de transparence dans le vin ?

Il y a des gros lobbys et beaucoup d’argent derrière. En outre, le vin est inscrit au patrimoine national, c’est un produit culturel un peu intouchable. 

À titre personnel j’ai choisi de m’engager dans le syndicat du vin méthode nature. Nous bénéficions d’une petite reconnaissance de la part de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) et de quelques structures étatiques.

Je ne sais pas s’il y aura un jour le détail des ingrédients que contient une bouteille de vin mais c’est un moyen d’agir pour faire bouger les choses. Il y a encore beaucoup de barrages économiques et politiques et un gros travail de transparence et de clarification à faire. 

6 – Immerpif, une immersion de deux ans dans les vignobles. Comment a commencé l’aventure ?

C’est une expérience complètement improvisée. Début 2020, j’ai appelé Jacques Février et Julie Reux, un vigneron et une vigneronne que je connaissais un peu, en leur proposant de venir les aider une semaine ou deux. Installé chez eux, Emmanuel Macron a annoncé le confinement. Ils m’ont proposé de rester. Au début le confinement était annoncé pour deux ou trois semaines. Ça a duré deux mois. 

Au déconfinement j’ai appelé quelques copains sur Lyon. Tout était fermé, il n’y avait pas d’événements. J’ai donc continué mon périple dans les vignes. Au final, je suis passé de domaines en domaines pendant deux ans, en restant quelques jours voire quelques mois chez environ 80 vignerons

7 – Qu’as-tu préféré dans Immerpif ?

J’ai aimé le côté sociétal du vin. L’anthropologue sociale Christelle Pineau a d’ailleurs écrit un merveilleux ouvrage à ce sujet « La corne de vache et le microscope ». Je suis content d’avoir vu la technique mais ce qui m’intéresse le plus c’est la réaction d’un vigneron face à un événement imprévu et sa prise de décision. Sa capacité à s’adapter à son environnement.

8 – Comment les vignerons vivent le changement climatique ?

Je pense qu’ils ont peur. Le temps nécessaire à un vignoble pour s’adapter est long. Changer ses pratiques culturelles prend des années. En outre, ils sont fatigués par la répétition. Avant, il était normal d’avoir une ou deux mauvaises années dans sa carrière. Mais maintenant chez certains, il se passe quelque chose tous les ans (gel, grêle, maladie, stress hydrique, etc.). Ils essayent de mettre en place des pratiques de vitiforesterie sans avoir l’assurance qu’elles prennent sur leur territoire. Mais bon ça se termine toujours autour d’une table et quelques canons qui sont quand même bons.

« Le temps de la vigne est un temps long, ce n’est pas le temps de la connerie humaine qui elle va de plus en plus vite. »

9 – Quel est ton sentiment face au changement climatique ? 

Personnellement, je suis un peu éco-anxieux. Le temps de la vigne est un temps long. Ce n’est pas le temps de la connerie humaine qui elle va de plus en plus vite. Je pense que les vignerons ont choisi ce métier pour avoir ce temps long. Malheureusement, ils se retrouvent à devoir gérer des urgences climatiques. Mais bon, il y en a toujours qui se lancent. 

10 – Comment la nouvelle génération voit-elle l’avenir ?

Nous allons faire un cycle d’émissions avec des étudiants de Montmorot dans le Jura. Je voulais leur donner la parole afin de voir quelle est leur vision du monde de demain. C’est eux qui vont définir les sujets de l’émission. Ça va être intéressant de découvrir ce qu’ils souhaitent aborder. Vont-ils parler agriculture, finance, météo, climat, relations humaines ? On verra. 

Portait de Julien Gangand au studio RadioVino qui valorise le vin nature.

11 – RadioVino, quel est ce nouveau projet ?

Thierry Poincin a eu l’idée de créer un lieu qui serait à la fois une cave et un studio de radio. Tout s’est passé très vite. Trois mois après la cave était ouverte. Dans ce lieu hybride, nous vendons les vins des vignerons et vigneronnes que l’on connaît et dont on apprécie le travail. 

Les vins sont vendus en bouteilles, en cubis et en vrac. Nous proposons également des bières artisanales, des alcools forts et une petite gamme de produits du terroir que nous avons dénichés lors de pérégrinations.

Notre but est de pouvoir faire un maximum de terrain. À terme nous aimerions mettre un QR code sur les bouteilles pour que les personnes puissent écouter l’histoire du vin en le buvant. 

12 – Comment appréhentes-tu le métier de caviste ?

Il y a une obligation sociale en France de connaître le vin, ce qui met la pression aux gens. En ce moment j’essaye de leur faire dire ce qu’ils aiment mais ce n’est pas évident. Être caviste c’est proposer aux personnes qui entrent une bouteille qui va leur procurer un moment de plaisir dans leur intimité et ce, sans les connaître. 

« Le fait d’appartenir à une minorité fait que j’ai une sensibilité pour les autres minorités.

13 – As-tu la volonté de mettre en avant les femmes dans le vin ?

J’essaye de mettre en avant les vigneronnes pour qu’elles ne soient pas moins visibles que les vignerons, mais pas plus non plus. Et de manière naturel, je ne veux pas que ce soit un sujet.

Le fait d’appartenir à une minorité fait que j’ai une sensibilité pour les autres minorités. Je n’ai personnellement jamais souffert d’être gay dans le monde du vin mais c’est une petite solidarité. 

Après, il ne faut pas tomber dans le travers du vin féminin. Même si dans le militantisme, il faut toujours qu’il y ait du « trop » pour que ça avance un peu. En me perturbant, ça me fait réfléchir. Ce qui est mauvais, c’est de s’enfermer dans un entre-soi et de rester figé dans ses convictions. 

« En se posant trop de questions, on passe à côté de beaucoup d’opportunités. »

14 – Caviste, Immerpif, RadioVino … une trajectoire dessinée par une succession d’opportunités ?

J’essaye de ne pas avoir trop peur de taper aux portes. Si j’ai envie de faire quelque chose ou de parler à quelqu’un, j’y vais. Et finalement tu te rends compte que c’est très simple et que bien souvent les gens sont partants. On se met beaucoup de barrière, parce qu’on n’ose pas. En se posant trop de questions, on passe à côté de beaucoup d’opportunités. 

15 – Quel est ton leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui t’inspire ?

J’utilise beaucoup de citations ! J’aime bien envoyer des petits messages mais comme j’ai un peu de pudeur, je préfère emprunter, c’est plus simple. 

Mon leitmotiv serait : « À voir, à boire, à table. » Je suis incapable de me projeter dans 10 ans, ce n’est pas quelque chose qui me construit. Sinon, je n’ai pas trouvé d’autres endroits aussi intenses que la table pour échanger. Ça et la marche à pied. Quand tu marches avec quelqu’un, tu parles. Et même si tu ne parles pas, en marchant ensemble un dialogue silencieux s’instaure. 

16 – Quel est ton projet pour demain et/ou le rêve que tu souhaiterais réaliser ?

C’est plus un rêve qu’un projet. J’aimerais que tout soit plus simple : la place des gens dans la société, la façon dont on vit, ce qu’on laissera derrière nous aux générations futures, etc. 

Mon rêve c’est d’avoir encore du palais, un foie, de l’énergie et l’envie d’écouter les gens. 

Julien Gangand aka « La vigne sous la plume »

RadioVino
47, rue des Farges
69005 Lyon

Tél : 09 71 24 59 07

Site : radiovino

Photos : Christophe Cehes

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