Références gastronomiques

Sébastien Chambru, l’O des Vignes

14 décembre 2023
Portrait du chef étoilé Michelin Sébastien Chambru dans son restaurant gastronomique l'O des Vignes.

Pour ce dernier portrait de l’année, j’ai souhaité faire escale en Bourgogne. Natif de la région, le chef étoilé et MOF Sébastien Chambru s’est installé dans le charmant village de Fuissé. Au sein de son restaurant l’O des Vignes, cet amateur de vin propose une cuisine gastronomique alliant le sens des voyages et la mémoire de ses racines. Côté bistrot, vous pourrez découvrir des plats généreux dans un cadre champêtre et convivial, où le pain au levain fait maison a un petit goût de « paradis ».

1- Quel est votre parcours ? 

J’ai fait l’école hôtelière de Mâcon, puis j’ai continué par la voie de l’apprentissage. J’ai eu mon BP au CFA La Noue-Bourgogne avant de partir à l’armée. À mon retour, j’ai fait l’ouverture de la brasserie du Nord puis j’ai travaillé auprès de Monsieur Bocuse à Collonges. J’ai ensuite rejoint un ami à la Villa Florentine où je suis devenu sous-chef. Entretemps, j’ai aidé une amie journaliste, Sonia Ezgulian, à lancer son restaurant l’Oxalys. J’ai ensuite été sous-chef de Christian Lherm au restaurant l’Arc-en-Ciel de l’hôtel Méridien (aujourd’hui Radisson).

En partant découvrir le Japon avec Stéphane Gaborieau, alors chef de la Villa Florentine, j’ai eu l’opportunité de signer un contrat pour le restaurant le 21 de l’hôtel Hilton à Tokyo. De retour sur Lyon, j’ai trouvé un poste à la Plage, une jolie petite adresse située vers le musée des Tissus. En parallèle, mes amis de chez Bocuse m’ont inscrit au concours pour devenir l’un des Meilleurs Ouvrier de France. J’ai eu la chance d’être qualifié en final et d’avoir le titre. Après une expérience à Genève, j’ai accepté le défi de redresser le Moulin de Mougins, alors en déclin. À 40 ans, j’ai eu envie de m’installer dans une région viticole entre Lyon et Beaune. Trouver un établissement à Fuissé était inespéré ! Ça va faire 10 ans maintenant. 

2- Vous qui êtes sensible à la nature et à l’environnement, pourquoi avoir fait le choix de devenir cuisinier et pas vigneron ?

Initialement, je souhaitais devenir garde-chasse. Mes parents étant modestes, ils n’avaient pas les moyens de m’envoyer dans l’école la plus proche, située en Sologne. Il a donc fallu trouver autre chose. Après avoir fait un apprentissage chez Monsieur Carrette (le père de Jean-Michel Carrette), mon frère a ouvert un restaurant à Bourg-en-Bresse. J’aimais travailler chez lui le vendredi soir après l’école et le samedi. J’avais 13 ans, cette vie décalée me plaisait. Je me couchais tard, j’aimais l’adrénaline du service, finir par un casse-croûte avec l’équipe et voir partir les clients avec le sentiment de les avoir rendus un peu plus heureux. Même si j’aimais cuisiner, c’est finalement le rythme de vie qui m’a donné envie de choisir ce métier. 

3- Comment votre expérience à Tokyo a-t-elle influencé votre cuisine et votre manière de vivre ?

Elle a influencé ma manière de vivre significativement. Je travaillais dans un restaurant où la cuisine était ouverte sur la salle. Nous devions donc faire attention à notre manière d’être et d’agir. Au Japon, il y a un grand respect entre les collaborateurs, quel que soit le niveau hiérarchique. Il n’y a pas un mot plus haut que l’autre. Les codes de la bienveillance sont omniprésents. En France, j’étais connu pour être un chef d’une nature assez calme mais au Japon c’est décuplé ! J’ai appris à être plus zen, à réagir différemment quand un problème survient.

Travailler au Japon a également transformé mon approche du produit. Quand on commande un bouquet de ciboulette en France, les douze premiers centimètres sont beaux mais le reste est étranglé par un élastique. Au Japon, la ciboulette est livrée dans une mini cagette, à plat sur deux étagères et les brins sont magnifiques. Chez eux, tout a une histoire, tout est respecté. 

« Cuisinier est un métier où il faut allier le sens des voyages et la mémoire de ses racines. »

4- Comment décririez-vous votre cuisine ? 

Je propose une cuisine classique enrichie de saveurs d’ailleurs que l’on ne retrouve pas dans les standards de la cuisine française. Chez nous, tout est travaillé brut. Quand on reçoit un produit, on le valorise dans son entièreté. Nous sommes moins classique dans les accompagnements et dans les cuissons. Nous utilisons beaucoup d’assaisonnements japonais, de marinades, de séchages et d’infusions.

Cuisinier est un métier où il faut allier le sens des voyages et la mémoire de ses racines. J’ai de tendres souvenirs d’enfance quand, après l’école, j’aidais ma mère au jardin. On avait des tomates, des haricots, des blettes, des betteraves, etc. On faisait nos conserves pour l’hiver. Je considère que c’est une chance d’avoir connu ça et je suis heureux de pouvoir le transmettre aux jeunes qui passent chez nous. Je les emmène en lisière de vigne ou de forêt cueillir des herbes. Ça nous permet de sortir, d’être en lien avec la nature. On met les doigts dans la terre. C’est ressourçant.

« J’ai un passage bretonisant en vieillissant, j’aime de plus en plus travailler les coquillages et les poissons de mer. »

5- Quels produits aimez-vous travailler ?

Nous aimons beaucoup travailler le poulpe, la betterave, la figue, l’anchois, le boeuf avec une tendresse pour le charolais. On vieillissant j’aime de plus en plus les produits de l’eau et particulièrement les coquillages et les poissons de mer. J’ai un passage « bretonisant » qui me colle à la peau depuis quelques années et qui ne veut pas s’en aller (sourire). Nous travaillons beaucoup de produits locaux mais j’aime également valoriser ce que les autres terroirs font de mieux. 

6- Quels vins vous touchent ?

J’ai un profond respect pour les vignerons qui travaillent la terre proprement. C’est eux que je vais boire et faire travailler en premier. Le vin qui va me donner de l’émotion vient d’un sol respecté. On peut mettre un peu de soufre pour l’élever mais pas de produits nocifs pour la santé. À la dégustation, j’aime les vins tendus, francs, où l’on sent le fruit et peu le bois. Je suis amateur de Pinot, de Gamay et de Chardonnay parce que j’ai grandi avec eux, mais de manière générale, je goûte tout. 

7- Qu’aimez-vous dans le vin ?

On trouve dans le vin une grande palette de goûts et de saveurs. J’aime quand il y a une petite pointe d’iode qui fait saliver et qui appelle une autre gorgée. J’aime les amers en fin de bouche de certains vins. Et puis, il y a cette douce ivresse, avec modération bien sûr. Ce côté festif du vin. C’est toujours agréable de boire un canon avec les copains. 

« Notre pain est à l’image des vins qu’on aime, vivant. »

8- Comment faites-vous votre pain ?

Nous avons attendu d’être prêt pour proposer notre pain. Il nous a fallu plus d’un an d’essais avant d’obtenir les levains désirés, le tour de main et le résultat escompté. Il est simple, composé de levain naturel, d’un mélange de quatre farines biologiques et nous faisons des fermentations très longues (minimum 24h). Notre pain est à l’image des vins qu’on aime, vivant. C’est un produit sensible à son environnement, il est donc chaque jour différent.

9- Quelle est la particularité de votre pain ? 

Je récupère chez des vignerons qui travaillent en biodynamie du « paradis », c’est-à-dire du jus à la sortie du pressoir. Il est brut, chargé en sucres et riche en levures indigènes. Je le congèle immédiatement. Chaque jour, j’en ajoute un peu dans mon levain et je refais une fermentation. Le jus de presse de Chardonnay donne à notre levain une identité forte. 

10- Comment avez-vous eu l’idée de faire « 20 déjeuners autour du vin », un livre où vingt vignerons évoquent leur métier et leur amour du vin autour d’un plat familial ?

C’est une idée que nous avons eu en commun avec le photographe Matthieu Cellard et l’éditeur Bamboo. Nous sommes tous les trois amateurs de vin et nous avions envie d’ouvrir une petite fenêtre sur le monde viticole, de montrer l’esprit du vigneron et comment il travaille.

11- Quels sont les lieux à découvrir dans le Mâconnais ? 

Il y a de jolies balades à faire, notamment quand on monte sur les roches. Du sommet, on voit toute la Bresse, la Vallée de la Saône, les mouvements tectoniques qui ont entraîné le soulèvement de ces roches et le surgissement du calcaire du fond de la terre, une caractéristique des terres viticoles de la région.

Quand on monte un peu plus en altitude, sur la Roche-Vineuse au nord de Mâcon, on s’aperçoit qu’il y a plein de petites roches qui tentent d’émerger. À ce jour, seules deux roches l’ont fait : Solutré et Vergisson. En s’éloignant un peu, le Clunisois, Cormatin, Brancion valent également le détour. Le Mâconnais est très beau. Si vous souhaitez le découvrir le temps d’un week-end, il est possible de loger dans deux maisons de caractère pleines de charme : la Maison du Hérisson et la Source des Fées

12-Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui vous inspire? 

« Travail et progrès, source inépuisable et féconde. » Cette phrase m’a marqué quand j’ai commencé le métier. Je la transmets toujours aux jeunes qui commencent chez nous.

13- Quel est votre projet pour demain et/ou le rêve que vous souhaiteriez réaliser ? 

Mon projet pour demain serait de sensibiliser les jeunes à manger plus sainement, qu’il fassent attention à ce qu’on met dans leur assiette. Mon rêve est de continuer à proposer une cuisine sincère et authentique dans un lieu convivial où les gens se sentent bien, et qu’ils repartent heureux. 

L’O des Vignes par Sébastien Chambru
Rue du Bourg
71960 Fuissé

Tél : 03 85 38 33 40
Site

Photos : Matthieu Cellard et @l_o_des_vignes

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