Dans son hôtel-restaurant Aux Terrasses à Tournus, Jean-Michel Carrette propose une cuisine à son image : rock et spontanée. Sensible à l’environnement, le chef récompensé d’une étoile verte au guide Michelin sublime son terroir tout en se permettant quelques incartades internationales. Au son du juke-box, vous pourrez apprécier une sélection de vins vivants dont la cuvée Simone, premier millésime nature de la maison.
1 – Quel est ton parcours ?
J’ai fait un BEP à l’école hôtelière de Poligny puis un BAC pro sur Mâcon. J’ai commencé ma carrière chez Philippe Chavent à la Tour Rose. Je suis ensuite parti à l’Intercontinental sur Genève puis à Londres. De retour en France, j’ai travaillé aux côtés de Christian Lherm, Sébastien Chambru, Michel Troisgros puis j’ai repris le restaurant familial au décès de mon père en 2005.
2 – Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir cuisinier ?
Le mimétisme familial. En sortant du collège je ne savais pas trop quoi faire professionnellement. Sur les conseils de mes parents, je suis allé à l’école hôtelière de Poligny en pensant m’orienter vers les métiers du service et j’ai finalement pris la cuisine en option. Ce qui est paradoxal parce qu’à l’époque ce métier ne m’attirait pas du tout. Mais bon, j’ai grandi dans un restaurant. Inconsciemment ça devait être ancré en moi.
« Londres m’a ouvert les yeux sur une cuisine internationale plus audacieuse. »
3 – Quand ce métier a-t-il commencé à te passionner ?
Au début de ma carrière, la cuisine consistait à reproduire des recettes traditionnelles. N’ayant pas une approche très académique, je m’ennuyais.
Mon premier contact avec une cuisine plus libre a été aux côtés de Philippe Chavent. Ses préparations culinaires avaient un temps d’avance sur l’époque. Mais la vraie claque a été sur Londres. Cette ville m’a ouvert les yeux sur une cuisine internationale plus audacieuse. J’ai compris qu’on pouvait s’approprier les choses et ne pas faire que les reproduire sagement.
4 – Comment décrirais-tu ton établissement ?
Je n’avais pas l’intention de reprendre Les Terrasses au décès de mon père mais inconsciemment je pense que j’ai toujours su que ça arriverait. J’ai repris une affaire proposant une cuisine traditionnelle régionale bien léchée. Mon père allait à l’essentiel. Il pratiquait l’épure, pas par conviction mais par obligation. L’ambiance était celle d’une maison provençale : rideaux aux motifs de poires, double nappe, tapis au sol. Cette maison avait une âme, celle de mes parents.
Quand j’ai repris Les Terrasses en 2005, j’avais 27 ans. À cet âge, je n’avais pas la moindre idée du style que je voulais donner à ma cuisine. En priorité, j’ai essayé de faire tourner l’établissement avec l’équipe en place. Il y a 12 ans nous avons fait des grands travaux. L’agencement a été repensé pour faciliter le travail. Nous avons opté pour des matériaux bruts (pierre, acier, bois) par bon sens.
5 – À tes côtés, tu as une équipe soudée ?
Nous faisons vivre les Terrasses avec ma femme Amandine. Je ne pourrais d’ailleurs pas gérer l’entreprise sans elle. Elle s’occupe à merveille du lieu et de l’accueil, quant à moi je m’occupe de la partie restaurant. Nous sommes complémentaires.
En cuisine, Victor et Pascal cumulent à eux deux 50 ans de maison ! Anthony nous a rejoint il y a 10 ans maintenant. Au total nous sommes 12 pour faire 60 couverts.
« Je cherche à faire le récit de mon histoire en Bourgogne entrecoupée de mes passages à l’étranger. »
6 – Comment décrirais-tu ta cuisine ?
J’ai l’impression qu’elle ne triche pas, qu’elle me ressemble. C’est une cuisine ancrée sur son territoire avec des incartades un peu internationales par le prisme de condiments. Je cherche à faire le récit de mon histoire en Bourgogne entrecoupée de mes passages à l’étranger.
Globalement, j’essaye de donner de la cohérence à un menu en mouvement. Mes plats ne sont jamais identiques. Je garde des concepts, des modes de cuisson et une grande part de spontanéité. Je n’aime pas figer les choses, j’ai besoin de me renouveler pour m’épanouir.
« L’idéal est de prendre le meilleur produit au plus près de chez soi. »
7 – As-tu une démarche locavore ?
J’essaye dans la mesure du possible. Je dois avouer que j’ai une passion pour les produits de la mer. J’ai essayé de me concentrer sur les poissons de rivière mais s’ils viennent d’une pisciculture située à 200 km du restaurant, pourquoi se priver d’un morceau de lieu ou d’un rouget de temps en temps ?
Certains lieux se prêtent plus à une démarche entièrement locavore. Le nord de la France cumule par exemple la mer, des rivières, du bocage, du maraîchage, etc. Si l’on vient d’une région moins riche, je pense que l’idéal est de prendre le meilleur produit au plus près de chez soi.
8 – Quels produits de la région affectionnes-tu particulièrement ?
La volaille de Bresse. Toute la pêche, en particulier celle de Saône et de Seille (ablette, sandre, perche). Les élevages, je pense notamment à un éleveur bio qui travaille la jersiaise, une petite vache laitière dont la viande est juste magique. La moutarde Fallot est à découvrir. C’est un condiment qu’on peut tordre dans tous les sens en le mélangeant avec d’autres produits.
Ils ne viennent pas de la région mais j’aime beaucoup les agrumes. Je travaille depuis des années avec la pépinière Bachès, un fournisseur d’agrumes bio produits dans le sud de la France. Cette sensibilité s’explique par mon passage chez Troisgros où l’acidité était très présente. Un trait de citron dans un plat crée un relief très intéressant.
9 – As-tu une sensibilité pour l’environnement ?
Amandine est ingénieure agronome. Nous sommes tous les deux sensibles aux questions environnementales. Il y a un an c’est elle qui m’a encouragé à investir dans un dessiccateur à déchets. Comme c’est une charge de travail en plus, j’avais peur que ce soit une contrainte pour les équipes mais ils ont adhéré à 100%. Nous trions ce qui est végétal et organique. La machine tourne doucement, monte en température, dégrade, dessèche et forme une sorte de terreau. Cette matière est un merveilleux engrais que nous donnons à nos maraîchers et à toute personne intéressée.
« Je ne peux pas dissocier le vin des vignerons. »
10 – D’où vient ton goût pour le vin ?
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé le vin. J’aime ce qu’il représente et les hommes qui le font surtout. Je ne peux d’ailleurs pas dissocier le vin des vignerons. Et puis il y a la symbolique autour du vin : ouvrir un vieux millésime et le plaisir de se dire que le liquide est enfermé dans son écrin depuis des décennies. Il y a quelque chose d’un peu mystique dans ce flacon qui emprisonne le temps. Le vin a d’ailleurs une place importante dans la religion catholique, prenons l’exemple du vin de messe ou des moines qui ont façonné le paysage de Bourgogne avec les vignes. Pour finir, je dirais que c’est un peu l’histoire de l’humanité. Depuis la nuit des temps, l’homme s’est essayé à la fermentation. Aujourd’hui on déguste mais avant on cherchait davantage l’ivresse. L’oenologie est une science assez récente finalement.
11 – Quels sont les vins que tu bois ?
J’ai une sensibilité pour les vins nature. Dans mon frigo, on trouve en ce moment un Alsace du domaine Durrmann, un Bourgogne du domaine Valette, un vin corse du domaine Antoine Arena et un vin du Jura de Pierre Overnoy. Que du nature. Ce sont les profils de vin que j’aime boire mais sur ma carte on retrouve également des stars de la Bourgogne qui ont une autre philosophie telles que la Romanée-Conti, Coche-Dury, Rousseau, etc.
Bien que la Romanée-Conti s’en approche. Ils travaillent en bio depuis 1986 et plus récemment en biodynamie. S’ils peuvent ne pas mettre de souffre dans leur cuvée de rouge, ils le feront volontiers. Leurs étiquettes ne mentionnent pas de label. Ils estiment que c’est juste normal de travailler proprement. Il en est de même pour le domaine Valette. À leurs yeux, c’est aux domaines qui utilisent la chimie d’indiquer la présence de levures et de produits phytosanitaires nocifs.
12 – Fais-tu du vin ?
J’ai une parcelle d’un hectare de Chardonnay sur l’appellation Mâcon Cruzille. Le vigneron Julien Guillot du domaine des Vignes du Maynes veille au grain. Nous avons fait notre premier millésime nature cette année. La cuvée Simone, en hommage à la cousine qui m’a légué ses vignes. Nous sommes assez content du résultat. C’est tendu, il n’y a pas de volatile, pas de défauts ni d’oxydation. Pour l’instant nous sommes en conversion bio. Dans 2 ans nous aurons le label bio et Déméter.
« Pour faire du vin nature, il faut être un très bon vigneron. »
13 – Est-ce plus difficile de faire du vin nature que du vin conventionnel ?
Pour faire du vin nature il vaut mieux être un très bon vigneron, comme pour faire du jazz il vaut mieux bien connaître son solfège. C’est une méthode qui demande beaucoup d’expérience et une hygiène irréprochable à la cave. En outre, il faut récolter des raisins sains (sans traitements) d’une belle maturité aromatique pour faire un vin nature de qualité.
14 – Quelle est ton autre passion ?
La musique tient une grande place dans mon quotidien. J’ai une collection de plus de 2000 vinyles. On trouve du rock, du ské, du triphop, du jazz, etc. J’ai trouvé un vieux juke box aux Puces du Canal ce qui me permet d’en profiter. Sans être guitariste, j’ai plusieurs guitares. J’aime bien prendre un moment en fin de service pour en jouer dans le salon de l’hôtel. J’ai appris en autodidacte et avec les copains, un peu comme la cuisine.
15 – As-tu une citation et/ou un leitmotiv qui t’inspire dans la vie ?
« Ni Dieu, ni maître. »
16 – Quel est le rêve et/ou le projet que tu souhaiterais réaliser demain ?
Il y a un rêve concret qui est en cours de réalisation … Affaire à suivre.
Aux Terrasses
Jean-Michel Carrette
18, avenue du 23 Janvier
71700 Tournus
Tél : 03 85 51 01 74
Photo : Matthieu Cellard