Les fruits confits ont vu le jour à l’Antiquité dans l’objectif de conserver les fruits sur de longues périodes. Au Moyen-âge, la recette s’est perfectionnée, notamment dans certaines villes de Provence comme Apt, réputée encore aujourd’hui pour être la capitale mondiale du fruit confit.
Les fruits confits artisanaux sont un trésor pour les sens. Le processus de confisage permet une véritable alchimie entre le fruit et le sirop de sucre. À la dégustation, on apprécie l’équilibre délicat entre le fruit dont les propriétés sont préservées (texture, couleur, saveur) et la douceur du sucre.
Pierre Lilamand, artisan confiseur depuis cinq générations nous explique l’art du confisage et sa volonté de faire un calisson d’exception qui représente le terroir provençal. Pour finir, il nous parle de son envie de promouvoir le savoir-faire de la Maison Lilamand.
1 – Quelle est l’histoire de la Maison Lilamand ?
La confiserie Lilamand a été créée en 1866 par mon ancêtre Marius Lilamand. Il était pâtissier-confiseur à Saint-Rémy de Provence. En 1903 son fils Justin a souhaité se consacrer exclusivement à la confection de fruits confits. Pour ce faire, il s’est installé dans une ancienne tannerie située à la sortie du village qu’il a transformée en confiserie.
C’est dans ce bâtiment que nous fabriquons encore aujourd’hui nos fruits confits. L’entreprise a continué à se transmettre. Mon grand-père Georges a perpétué le savoir-faire familial, puis mon père Robert. J’ai intégré l’entreprise en 1990 avec la volonté de la rendre plus visible et moderne. Cette transformation a été matérialisée par la réfection des bâtiments et la création d’un logo pour appuyer la marque Lilamand Confiseur. Ma volonté aujourd’hui est de continuer à rendre cette confiserie vivante et belle.
2 – Quelle est la recette du fruit confit ?
La recette est simple. Pour faire de bons fruits confits, il faut tout d’abord sélectionner des fruits de qualité cueillis à maturité. Ces derniers sont ensuite blanchis pour ramollir leur chair et écarter leurs fibres. Les fruits sont rincés à l’eau clair et « mis au sirop ». La dernière étape est celle du confisage. Dans des bassines en cuivre, les fruits commencent à se confire au cours de sept à huit bouillons successifs étalés sur trois semaines à un mois. L’eau du fruit est naturellement évaporée et remplacée par ce sirop dans lequel le fruit baigne, et qui doit être suffisamment concentré pour permettre sa conservation. On commence avec des temps de cuisson et de repos courts qu’on allonge au fur et à mesure. Pour finir, nous laissons les fruits se reposer dans leur sirop pendant deux mois minimum afin de parfaire leur confisage. Passé ce délai, ils peuvent être commercialisés.
Le confisage est une véritable osmose entre le fruit et le sucre, deux éléments initialement distincts. À l’origine conçus comme une méthode de conservation, les fruits confits s’associent désormais à de la gourmandise.
« Un fruit confit doit conserver son goût, son moelleux, sa texture et son grain. »
3 – Quel impact le confisage a-t-il sur le fruit ?
Un fruit confit doit conserver au maximum son goût, son moelleux, sa texture, son grain et son aspect. Quand on découpe une poire confite, on doit retrouver le grain d’une poire qui vient d’être cueillie. Le confisage apporte de la transparence. À la lumière, on voit le coeur du fruit, ses fibres, ses graines, son noyau.
4 – Tous les fruits peuvent-ils se confire ?
Tous les fruits peuvent se confire mais pas toutes les variétés. Certaines sont trop fragiles et vont se détériorer à la cuisson. Au fil des décennies, nous avons sélectionné des variétés à la chair ferme et goûteuse. Nous travaillons de concert avec des producteurs locaux qui acceptent de cultiver des variétés peu rentables mais spécifiques à la confection des fruits confits, comme la poire Saint-Jean ou l’abricot Rosé de Provence.
« Tous les fruits peuvent se confire mais pas toutes les variétés. »
5 – Pour atteindre l’excellence est-il nécessaire de préserver certaines variétés de fruits ?
J’ai toujours entendu dire que pour atteindre l’excellence, il fallait avoir les meilleurs fruits. Nous travaillons avec des variétés anciennes dont certaines auraient été oubliées si elles n’étaient pas utilisées pour la fabrication des fruits confits.
Les producteurs locaux avec lesquels nous travaillons auraient pu arracher leurs vergers pour planter des variétés plus rentables. Nous avons mis en place un partenariat gagnant-gagnant. Ils produisent des variétés anciennes adaptées à la confiserie et nous achetons toute leur production en vente directe.
Le travail des producteurs est vraiment précieux pour nous. Quand on arrive à atteindre l’excellence avec une variété, il est difficile de s’en passer. Il y a peu, j’ai cru que la variété de pêche que mon père et mon grand-père confisaient allait disparaître. Un producteur situé dans le Gard a accepté de jouer le jeu en replantant cette variété. Quel bonheur ! C’est une partie de nos traditions et de notre héritage qui s’éteint quand une variété disparaît.
« Quand on arrive à atteindre l’excellence avec une variété, il est difficile de s’en passer. »
6 – Quelles solutions s’offrent à vous quand une collaboration avec un producteur s’arrête ?
On essaye de trouver un producteur qui cultive la variété ancienne que nous recherchons. Ce sont des arbres rares, bien souvent hérités d’un père ou d’un grand-père. Certains sont renouvelés quand il y a de la mortalité, mais pas toujours.
À défaut de trouver un producteur partenaire, on replante nous-mêmes des vergers. C’est ce qui s’est passé pour l’abricotier Rosé de Provence. Nous avons planté 200 pieds. C’est une variété parfaite pour la confiserie mais c’est un fruit capricieux et délicat. L’arbre est peu productif, et quand il est cueilli, son fruit doit être consommé rapidement.
7 – Quels sont les fruits confits préférés de vos clients ?
Le melon entier est notre spécialité. C’est le produit incontournable de notre gamme. Il s’agit d’une pièce élégante que les clients aiment mettre sur leur table de fêtes. Ils apprécient également cette spécialité coupée en tranches. L’abricot, la fraise et la clémentine ont également beaucoup de succès. Personnellement, j’aime beaucoup la tranche d’orange confite. La peau apporte de la résistance en bouche et la pulpe reste juteuse.
Nous proposons une vingtaine de variétés de fruits confits parmi lesquels le kiwi, le kumquat, la figue, la pêche, la prune, la cerise, la poire, le cédrat, le citron, la figue de Barbarie, le gingembre, l’ananas, etc. Il y en a pour tous les goûts.
8 – Le marron glacé est il un fruit confit comme les autres ?
Oui, à ceci près qu’il a une chair dense et sèche qui laisse très peu de place pour le sirop. De ce fait, le temps de séchage est beaucoup plus rapide. Il se conserve très bien dans son sirop de confisage mais dès qu’on le sort, il faut le consommer rapidement.
Le marron glacé est en fait une châtaigne qui est confite puis glacée, comme les autres fruits confits. Contrairement aux autres fruits confits qui s’achètent toute l’année, le marron glacé est un produit vraiment saisonnier.
9 – À quelles périodes de l’année mange-t-on des fruits confits ?
Nous travaillons avec 800 clients professionnels qui se fournissent toute l’année. Il y a néanmoins un pic d’activité en août et en décembre. Comme il s’agit d’un produit provençal, les touristes aiment découvrir cette spécialité de la région. En plus d’offrir du vin des Alpilles, ils offrent de l’huile d’olive de la vallée des Baux de Provence et des fruits confits Lilamand.
10 – Existe-t-il des occasions particulières pour manger des fruits confits?
Historiquement, les occasions particulières comme Noël et Pâques, avaient des origines religieuses, et intégraient la dégustation de fruits confits. Certaines de ces traditions restent ancrées dans nos terres provençales, et perdurent comme celle des treize desserts.
Dans les familles provençales, on avait coutume de faire un repas maigre le soir de Noël, avant d’aller à la messe de minuit. Une fois rentrés, les convives s’installaient autour d’une table où étaient dressés en abondance treize desserts, en référence aux douze apôtres et au Christ. D’ailleurs, cette tradition se perpétue encore aujourd’hui même si on peut constater quelques écarts, mais les treize desserts sont toujours présents.
Pâques a également été un moment phare pour déguster des fruits confits. À cette occasion, les familles allaient à l’église avec des rameaux. Il s’agissait de branches sur lesquelles étaient accrochés des fruits confits, en référence aux arbres fruitiers. Cette tradition a été abandonnée par souci d’égalité. En effet, seules les familles aisées avaient les moyens d’acheter des fruits confits, mais on trouve toujours des fruits confits sur les tables à l’occasion des fêtes de pâques.
Encore aujourd’hui, le fruit confit artisanal reste un produit de fête, qui se déguste en fin de repas ou qui se présente en cadeau.
11 – Quelle image a le fruit confit aujourd’hui ?
Le fruit confit est une vieille confiserie, mais quand il est de qualité et présenté de façon moderne (exit les paniers en osier surannés), on arrive à réconcilier les générations autour de ce produit noble. Notre clientèle est de tout âge. Certains avaient déjà eu l’occasion de manger des fruits confits artisanaux, d’autres viennent découvrir le produit. Je suis heureux quand un client déçu par les fruits confits industriels change de regard en découvrant nos produits. C’est une belle récompense !
12 – Est ce que les fruits confits se bonifient avec le temps ?
Contrairement au vin, les fruits confits ne se bonifient pas avec le temps. Nous avons constaté qu’après cuisson, les deux mois de repos dans le sirop sont nécessaires. Si ce délai n’est pas respecté, le sirop dégorge et le fruit sèche. Après deux mois de repos, le fruit est suffisamment nourrit pour être commercialisé. Si on le laisse davantage, il ne se dégradera pas mais il ne se bonifiera pas non plus. Il est vraiment figé, en attente de reprendre vie lorsqu’on le sépare de son sirop.
13 – Pourquoi le fruit confit s’est-il développé en Provence ?
La Provence est une région riche en vergers. Dès le Moyen-Âge, les artisans ont développé le confisage pour conserver les fruits dans le sucre après leur cueillette. Ce met raffiné s’est développé sur les tables seigneuriales et papales. Le célèbre apothicaire et astrologue Nostradamus a rédigé en 1555 « Le Traité des fardements et des confitures », un ouvrage marquant dans le domaine de la confiserie. Il enseigne notamment la recette du fruit confit, recette que nous utilisons encore aujourd’hui. Anecdote amusante : Nostradamus est né à Saint-Rémy de Provence.
14 – Quelles sont les différences entre un fruit confit industriel et un fruit confit artisanal ?
Pour gagner du temps, l’industriel utilise des fruits immatures qu’il pèle à l’aide de machines. Ses fruits, dont on a privilégié la résistance au détriment du goût, sont plongés dans des bouillons successifs pendant une semaine. À la fin, on obtient un morceau de sucre au goût uniforme. La plupart des gens connaissent le fruit confit à travers ces produits-là et en garde à juste titre un mauvais souvenir. Je pense notamment aux fruits confits et aux macédoines de fruits confits que l’on trouve en supermarché, dans beaucoup de pâtisseries, cakes, galettes des rois…
15 – Quel impact a eu la création d’Aptunion dans l’univers du fruit confit ?
En 1962, les quatre principaux confiseurs aptésiens se sont rassemblés pour créer Aptunion, une entreprise leader spécialisée dans la production d’ingrédients à base de fruits. Ils ont fait une véritable révolution dans l’univers du fruit confit en exportant des produits dans le monde entier. Pour ce faire, ils ont choisi la rentabilité aux dépens de la qualité et du goût.
16 – Comment atteindre l’excellence quand on fait des fruits confits ?
Tout le monde peut faire des fruits confits. Néanmoins, pour atteindre l’excellence il faut de l’expérience. La recette seule ne suffit pas, il faut s’adapter aux fruits. C’est un travail d’observation. Nous sommes en permanence le nez sur la marmite pour surveiller l’évolution du fruit pendant la cuisson. Malgré notre savoir-faire transmis sur cinq générations, il y a encore des loupés. Nous travaillons avec des fruits non calibrés, certains sont plus murs que d’autres. Sur 50 tonnes de fruits, il est difficile de tout contrôler et ce, malgré une phase de tri très exigeante. L’artisanat est un travail d’humilité.
« L’artisanat est un travail d’humilité. »
17 – Pourquoi vous êtes-vous lancé dans la fabrication de calissons ?
Quand j’ai intégré la société familiale, la Maison Parli était une référence en matière de calisson à Aix-en-Provence. Je ne voyais pas quelle valeur ajoutée je pouvais apporter. Quand la directrice de cette institution m’a contacté en 2008 pour me dire qu’elle arrêtait son atelier de fruits confits, j’ai saisi l’occasion pour me lancer et réaliser un calisson 100% artisanal.
En 2009, nous nous sommes installés dans un atelier de 300 mètres carrés situé à 3 kilomètres de la fabrique de fruits confits. Nous faisons des calissons avec des amandes françaises mélangées avec nos fruits confits (melons et écorces d’oranges). Le mélange moulé en forme de navette est posé sur une feuille d’hostie puis recouvert d’une fine couche de glace royale. Nous proposons également une version au gingembre confit ou enrobée de chocolat.
La plupart des calissonniers utilisent des fruits confits industriels pour faire des calissons, ce qui donne le sentiment de manger une pâte d’amandes sucrée. Dans la recette traditionnelle, il faut compter 40% d’amandes, 40% de melon et d’oranges confits et 20 % d’hostie et de glace royale.
18 – D’où proviennent les amandes de vos calissons ?
Nous les cultivons. Quand on a commencé la production des calissons en 2009, on travaillait avec une coopérative qui rassemblait des producteurs d’amandes à côté de Nîmes. En 2012, il y a eu une pénurie d’amandes françaises suite à un épisode de gel. Nous avions comme option de travailler avec des amandes d’Espagne ou de Californie. Je me suis dit que ça serait dommage qu’un produit qui représente le terroir provençal soit fait avec de la matière première étrangère.
Un de mes amis agriculteurs m’a proposé d’acheter une parcelle dans sa propriété. Nous avons participé au plan de relance de l’amandier en plantant 2150 arbres sur 9 hectares. Aujourd’hui, je prends un immense plaisir à m’occuper du verger. Travailler la terre me permet de sortir du bureau, c’est une forme de thérapie, c’est mon yoga à moi. Je n’avais jamais fait ça auparavant. C’est une activité à la fois intéressante et ressourçante.
Je m’occupe de l’entretien, de la taille jusqu’à la récolte. J’ai opté pour un système de récolte mécanique avec un parapluie inversé, ce qui me permet de récolter 1,5 hectare par jour, en étant seul. Cela fait deux ans que nous récoltons suffisamment d’amandes pour fabriquer nos calissons de manière autonome. C’est une immense fierté !
« Nous cassons les amandes au fur et à mesure de notre besoin pour préserver au maximum l’arôme de l’amande. »
19 – Vos calissons ont un goût d’amandes prononcé. Quel est votre secret ?
Quand on récolte nos amandes, elles sont recouvertes d’une coque rigide qu’il faut casser. J’ai poussé le curseur un peu plus loin cette année en faisant l’acquisition d’une casserie. Nous avons installé cette machine volumineuse dans un local clos aménagé de 200 mètres carrés. Nous cassons les amandes au fur et à mesure de notre besoin pour préserver au maximum l’arôme de l’amande.
Ma femme me dit que je suis fou dans cette recherche de l’absolue qualité mais elle, comme moi, sommes convaincus d’être sur le bon chemin. On va rester sur un marché de niche avec des volumes modestes (15 à 20 tonnes par an) mais je suis fier de proposer un produit d’exception qui représente notre savoir-faire et le terroir provençal.
20 – Avez-vous toujours souhaité reprendre l’entreprise familiale ?
Non, ce n’était d’ailleurs pas joué d’avance. Avant de rejoindre l’entreprise familiale, j’ai voyagé pendant trois ans. À mon retour, je me suis senti prêt à rejoindre l’entreprise familiale.
On a parfois besoin de faire un détour quand on a devant soi une route tracée d’avance. J’ai commencé à travailler tôt au sein de la confiserie. Je me revois enfant, en train d’épépiner des melons, entouré de mon père et de mon oncle. J’ai baigné dans cet atmosphère, de ce fait, j’ai ressenti le besoin de m’en extraire un temps pour revenir avec des idées neuves. J’ai proposé à mon père de restaurer et de moderniser la confiserie. Il m’a laissé faire, avec intelligence et bienveillance.
Une boutique de détail a vu le jour rapidement dans l’enceinte de la fabrique. Nos produits rayonnaient dans les grandes maisons parisiennes telles que Dalloyau ou chez Lenôtre mais personne ne le savait. J’ai fait en sorte que notre confiserie soit plus visible. Nous avons commencé à participer à des événements comme le salon d’Arles qui rassemble tout ce que la Provence fait de plus beau.
Mon papa a aujourd’hui 85 ans. Il ne travaille plus, mais il a toujours son bureau à côté du mien dans lequel il vient lire son journal tout en échangeant sur les affaires en cours. Je trouve ces moments agréables, comme un symbole d’une passation sereine et tranquille.
21 – Quelles sont les ambitions de la Maison Lilamand aujourd’hui ?
Nous avons développé beaucoup de nouveautés dernièrement donc nous souhaitons stabiliser l’existant pour l’instant. Notre priorité est de préserver la qualité de nos produits et nos relations avec la clientèle professionnelle. Nous souhaitons également travailler sur nos boutiques de détail qui nous permettent d’avoir un retour immédiat de nos clients quand on sort une nouveauté.
Notre futur projet sera de rassembler nos trois sites de production (l’atelier des fruits confits, l’atelier des calissons, la casserie d’amandes) sur un seul site afin de pouvoir travailler tous ensemble. Mon objectif est de créer un espace adéquat pour recevoir du public, notamment des écoles. Je serai heureux de pouvoir montrer notre savoir-faire artisanal, participer à un travail d’éducation et qui sait, susciter des vocations.
Maison Lilamand
20, rue de la Commune
13210 Saint-Rémy de Provence
04 90 21 11 27
Boutique Saint-Rémy de Provence
5, avenue Albert Schweitzer
04 90 92 12 77
Boutique l’Isle sur la Sorgue
13, rue de la république
04 90 92 13 45
Site
Photos : Maison Lilamand et La Plume d’Adam