C’est l’un des chefs les plus titrés de France (1er prix Taittinger, 1er prix Auguste Escoffier, Bocuse d’Or, Meilleur Ouvrier de France, etc), mais à mes yeux, la plus belle qualité de Michel Roth, c’est son humanité. Avec autant d’émotion que d’humilité, il nous parle de son affection pour le terroir lorrain, de sa carrière au Ritz couronnée par deux étoiles Michelin, et du restaurant Bayview by Michel Roth à Genève.
1- Quel est votre parcours ?
J’ai commencé comme apprenti à l’Auberge de la Charrue d’Or à Sarreguemines. J’ai ensuite évolué dans différentes maisons : l’Auberge de l’Ill à Illhausern, le Crocodile à Strasbourg puis le Pavillon Ledoyen à Paris où j’ai rencontré mon mentor, le chef Guy Legay, alors directeur des cuisines. Quand il est parti au Ritz en 1981, il m’a emmené dans ses valises. J’ai commencé comme commis et j’ai évolué jusqu’au poste de chef de cuisine du restaurant l’Espadon.
En 1999, alors âgé de 40 ans, j’ai choisi de quitter le Ritz pour une autre maison parisienne mythique : le restaurant doublement étoilé Lasserre. J’ai pu créer ma brigade et m’exprimer davantage en cuisine. Cette expérience m’a permis de m’affirmer. Deux ans après, le Ritz m’a proposé de devenir directeur des cuisines. Je n’ai pas pu refuser. C’était, et sa reste encore aujourd’hui, « ma maison ». En 2009, belle surprise, nous avons obtenu une deuxième étoile au guide Michelin.
En 2012, l’établissement a fermé ses portes pour rénovation. J’avais 50 ans et l’envie de me diversifier. J’ai créé ma société de conseils et je suis devenu chef exécutif consultant de l’hôtel Président 5* à Genève. Un an après, le restaurant Bayview by Michel Roth a obtenu une étoile au guide Michelin.
« Le Ritz reste encore aujourd’hui « ma maison ». »
2- Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir cuisinier ?
J’ai grandi à Hambach, à côté de Sarreguemines. Derrière la maison, nous avions des vergers. Tous les ans, j’accompagnais ma grand-mère et ma maman cueillir des mirabelles. En Lorraine c’est notre or jaune, notre soleil à nous. Vers l’âge de 11 ans, j’ai commencé à mettre la main à la pâte. Je me rappelle encore l’odeur qui sortait du four et la joie de se retrouver pour goûter les tartes. Je prends chaque année deux semaines au mois d’août pour perpétuer ce rituel avec mes enfants.
3- Quelle est votre recette de tarte aux mirabelles ?
J’utilise une pâte brisée sucrée sur laquelle je dispose une grande quantité de mirabelles dénoyautées. Je précuis l’ensemble au four puis je mets l’appareil composé d’oeufs, de sucre vanillé, de crème et d’un peu de lait. Je cuis la tarte jusqu’à ce qu’elle soit bien caramélisée sur le dessus. Parfois, je dispose quelques amandes effilées à la fin. La variante des anciens, c’est la finition au Schnaps (rires), avec ou sans flambage. Pour une version encore plus gourmande, on peut ajouter une boule de glace. Voilà un peu toutes les variantes de la famille.
4- À travers votre restaurant « Terroirs de Lorraine » installé dans la gare de Metz, aviez-vous envie de mettre en avant les spécialités de votre région ?
Le restaurant sert une clientèle touristique venue découvrir la région, le centre Pompidou-Metz, la cathédrale, etc. Nous sommes heureux de les accueillir avec un kir lorrain. À la carte, nous proposons des spécialités locales comme la quiche lorraine, la soupe à l’oignon gratinée, une bouchée à la reine aux ris de veau servie avec des spätzles maison, un burger avec une délicieuse sauce au munster et une moutarde douce aux mirabelles. Nous travaillons également les poissons d’eau douce en saison (brochet, perche, sandre), sous forme de quenelle et de fish and chips. En parallèle, nous avons sélectionné des vignerons passionnés qui travaillent dans le respect des sols. À l’image de la cuisine, nous proposons des vins du terroir comme le Pinot, le Gewurztraminer, le Riesling ou encore le Crémant d’Alsace.
5- Avez-vous essayé de mettre une touche de votre héritage lorrain à la carte du Ritz ?
Il m’est arrivé régulièrement de proposer des plats de mon enfance au Ritz. Le restaurant étant doublement étoilé, je les ai retravaillés et élevés à un rang gastronomique. J’ai transformé la potée lorraine en chou farci, intégré du foie gras dans la farce de la tourte lorraine, mis de la truffe dans les knepfles (gnocchis), associé le gibier avec du chou rouge braisé et des pommes/coings à la cannelle, etc. À l’époque, peu de personnes connaissaient le terroir lorrain, mise à part la choucroute, la tarte flambée et le pain d’épices à Noël. J’ai eu envie de montrer l’étendue de sa richesse et de sa diversité.
6- Qu’est-ce qui vous a marqué lors de votre arrivée au Ritz ?
J’ai découvert l’univers des palaces que je ne connaissais pas, avec les parties, le garde-manger, les sauciers, le rôtisseur, la poissonnerie. Hormis l’organisation des brigades, j’ai aimé la diversité. Il y avait le restaurant gastronomique l’Espadon, la brasserie chic « le Bar Vendôme », les banquets, le room service, les petits-déjeuners ouverts 7/7j, les brunchs, la piscine où l’on servait des plats diététiques, les événements à thème comme la Fashion Week, etc. On ne tombait jamais dans la routine. Sans compter que nous avions principalement une clientèle habituée aux palaces, il fallait donc toujours être créatif pour les surprendre et être à la hauteur.
« Toutes les personnes qui ont travaillé au Ritz sont amoureux de cette maison emblématique. Nous étions fiers de faire rayonner ce joyau du patrimoine, symbole de l’art de vivre à la française »
7- Pourquoi êtes-vous si attaché au Ritz ?
Même si parfois c’était dur car il y avait beaucoup de pression, je me suis toujours bien senti au Ritz. D’ailleurs, toutes les personnes qui ont travaillé au sein de cette maison emblématique en sont amoureux. Nous étions comme une grande famille, fière de faire rayonner ce joyau du patrimoine, symbole de l’art de vivre à la française. En cuisine, nous avions comme ligne de conduite de respecter la tradition Escoffier. Contrairement à d’autres palaces où l’on vient découvrir la cuisine du chef, au Ritz la clientèle vient pour le lieu et ce qu’il incarne, son cadre, son ambiance, son histoire. C’est un mythe.
8- Quels sont vos plus beaux souvenirs professionnels ?
Je me souviens d’une famille plutôt modeste venue dîner au Ritz. Quand je suis arrivé à leur table pour les saluer, j’ai senti une émotion sincère. Chacun s’est exprimé sur le plat qu’il a préféré puis une dame a pris la parole pour dire que des cadeaux, ils en avaient eus, mais qu’il n’y avait rien de plus précieux que de partager un moment avec sa famille. Elle a ajouté que ce souvenir resterait gravé et que j’en faisais partie. Ces paroles m’ont énormément touché. C’est fort de se dire que, grâce à notre cuisine, on entre dans la vie des gens.
Après, je ne peux pas m’empêcher de penser au jour où j’ai remporté le Bocuse d’Or. C’était un moment hors du temps, une victoire collective. J’avais à mes côtés un mentor, une équipe qui me faisait confiance et la fierté de représenter mon pays. Entendre la marseillaise a été un moment particulièrement fort en émotion. Ce souvenir, je le dois en partie à ma femme qui s’est occupée de nos enfants pendant les mois de préparation qui ont précédé le concours. Grâce à son soutien, j’ai eu l’esprit serein pour m’entraîner jour et nuit.
9- Vous avez la réputation d’avoir toujours eu une équipe fidèle à vos côtés. Quel est votre secret ?
J’ai beaucoup de chance. Mais comme on dit, la chance se provoque. Je pense que c’est un état d’esprit, une manière d’être. Il faut respecter ses collaborateurs et s’intéresser sincèrement à eux. En faisant ça, on parvient à tisser un lien de confiance. On sème des graines qui germent petit à petit. Il a toujours été important à mes yeux de mettre en avant mes seconds, et je suis heureux de voir qu’ils sont nombreux à avoir fait une belle carrière.
10- À l’image de Danny Khezzar ?
C’est une belle histoire avec Danny Khezzar. Notre relation s’est tissée au fil du temps. À 15 ans, il a eu un déclic en entrant dans les cuisines du Ritz. Il a fait son apprentissage puis je l’ai embauché comme commis. Quand l’établissement a fermé pour travaux, il est parti quelques mois chez Pierre Gagnaire puis il m’a demandé s’il pouvait me rejoindre à Genève. Il a intégré mon équipe en 2020 et petit à petit il a pris du grade jusqu’à devenir récemment chef du restaurant étoilé Bayview by Michel Roth.
C’est un garçon travailleur, curieux et créatif. Il aime notamment beaucoup travailler le côté trompe-l’oeil. Comme on a pu le voir dans la saison 14 de Top Chef, il a une idée à la seconde, c’est sa force. Nous sommes dans une dynamique de complémentarité et d’enrichissement mutuel qui nous pousse à aller plus loin, à nous dépasser pour faire plaisir aux clients.
11- Comment faites-vous pour faire l’unanimité à la fois en France et en Suisse ?
Je pense que c’est une question de savoir-être. Ici, les codes ne sont pas les mêmes qu’en France. Il faut montrer patte blanche. Quand je suis arrivé à Genève, je me suis présenté aux différents chefs en toute humilité. Les Suisses sont peu attachés au col bleu-blanc-rouge et aux autres distinctions. Tout se passe dans l’assiette. Il faut faire ses preuves pour être accepté mais une fois qu’on l’est, c’est une clientèle fidèle.
12- À travers votre cuisine avez-vous la volonté de valoriser les produits du terroir suisse ?
Nous essayons de faire découvrir à nos clients ce qu’il y a de meilleur autour de nous, comme les poissons d’eau douce (la perche, la fera du Léman, l’omble, la lotte du lac, les écrevisses). Par souci de transparence, nous précisons la provenance de nos produits sur la carte. Régulièrement, j’emmène mes jeunes collaborateurs chez nos producteurs pour qu’ils voient la passion qui les anime et l’énergie qu’ils déploient pour nous donner des produits qui ont du goût. Après, je n’oublie pas les beaux produits issus de France. Le but est d’allier le meilleur des deux.
13- Comment qualifieriez-vous votre cuisine ?
Je dirais qu’elle est à la fois traditionnelle et moderne. Je pense à la tarte aux cèpes. On peut la faire de manière plus traditionnelle avec des cèpes poêlés à l’ail, ou plus moderne en utilisant une pâte feuilletée caramélisée garnie d’une fondue d’oignons, de poudre de noisettes et de cèpes préalablement confits dans une graisse d’oie avec du thym. Et finir en dressant l’ensemble joliment car la gastronomie c’est avant tout le goût, mais l’esthétique compte aussi.
Quand je travaille un produit, je me demande toujours sous quelle forme il sera le meilleur. Je travaillerai un ris de veau en noix entier rôti ou meunière par exemple. Je l’accompagnerai d’une sucrine poêlée et d’un petit gel au citron pour lui apporter une touche de fraîcheur et de raffinement. De manière générale, j’aime que mes assiettes soient gourmandes, en veillant à être dans la juste mesure pour que nos clients sortent de table rassasiés, avec une sensation de légèreté.
14- Comment crée-t-on un plat qui suscite de l’émotion ?
Dans un premier temps, il faut trouver des ingrédients qui se marient bien ensemble et les ajuster jusqu’à trouver l’équilibre parfait. C’est un jeu subtile de composition et de dosage. Mais avant toute chose, il ne faut pas dénaturer le produit. Aujourd’hui, de nombreux restaurants proposent un menu unique ou une carte avec un choix restreint. C’est une approche intéressante qui permet de limiter le gaspillage et de se concentrer davantage sur la construction des plats. Ils seront plus aboutis et donc, plus susceptibles de faire naître une émotion.
« Ma ligne directrice est d’aller dans le sens de l’excellence et de donner le meilleur de moi-même. »
15- De l’émission culinaire « Repas de fêtes » sur Arte aux croisières de luxe Ponant, en passant par la signature des cartes Business et Première Classe pour Air France, vous multipliez les activités. Comment choisissez-vous vos projets ?
Quand j’ai quitté le Ritz après trente belles années au sein de cette incroyable maison, les opportunités sont venues assez naturellement à moi. Peu importe le projet, qu’il soit caritatif ou non, ma ligne directrice est d’aller dans le sens de l’excellence et de donner le meilleur de moi-même. Et puis, c’est une histoire de rencontres et de confiance. Il ne me viendrait pas à l’esprit d’accepter un projet uniquement pour ce qu’il peut me rapporter financièrement.
16- Quels seraient vos conseils pour la jeunesse ?
D’être patient. Tout va trop vite, que ce soit dans nos métiers ou dans nos vies. Aujourd’hui, les jeunes veulent sauter les étapes. Dès qu’ils ont vu quelque chose, ils ont l’impression de l’avoir acquis alors que nos métiers demandent de la répétition pour être maîtrisés. Les médias ont apporté beaucoup de positif mais ils ont aussi donné le sentiment aux jeunes qu’on pouvait devenir chef en claquant des doigts. C’est faux.
De prendre le temps de savourer leurs réussites en ne banalisant pas les événements heureux. Être dans « l’ici et maintenant », sans penser immédiatement à la prochaine étape.
Et goûter ce que l’on fait. Comme je le dis régulièrement à mon équipe, vous pouvez être amené à reproduire dix ou vingt fois le même plat au cours d’un service, mais chaque client est unique. Il faut rester vigilant, ajuster, goûter pour que tout soit parfait.
17-Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui vous inspire ?
Quand je me lève chaque matin, ma volonté est la même : donner du bonheur et faire plaisir, que ce soit à mes clients, à mes collaborateurs, à ma famille ou à mes amis. J’aime que les gens qui m’entourent soient heureux. Je pense qu’il est important de s’intéresser aux autres. Seul, on n’est pas grand chose, pour ne pas dire rien.
18- Quel est votre projet pour demain et/ou le rêve que vous souhaiteriez réaliser ?
Aujourd’hui, mon projet est de continuer à faire mon métier avec le même plaisir, en travaillant main dans la main avec mes collaborateurs pour que les menus que l’on propose suscitent de belles émotions. Après, si j’ai l’opportunité de réaliser un projet de qualité avec une équipe de confiance, peut-être que je la saisirai.
On dit qu’il faut rêver car les rêves font avancer. Certains m’ont demandé si c’était d’obtenir 3 étoiles au guide Michelin. J’y ai pensé, mais aujourd’hui le plus gros de ma carrière est fait. Ça aurait pu être un objectif mais un rêve, non. Le rêve est plus fort. Un rêve ce serait que les enfants ne meurent plus de faim ou de maladie, que tout soit plus zen.
Restaurant Bayview by Michel Roth
47, quai Wilson
Genève 1211 Suisse
Tél : +41 22 906 66 66
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Photos : @hotelpresidentgeneva (sauf portrait du chef Michel Roth)