Sensible aux artisans et à leur savoir-faire, il était tout naturel que je croise la route du « créateur tapissier » Xavier Forêt spécialisé dans le CHR (Café-Hôtel-Restaurant) et plus récemment le particulier. Jérémy Galvan, les Apothicaires, l’Hôtel du Golf et restaurant Palégrié, le Bistrot du Potager … nombreuses sont les belles adresses à avoir fait appel à la maison lyonnaise réputée pour son univers coloré et sa capacité à faire du sur-mesure.
1- Quel est ton parcours ?
Je suis parti 3 ans sur Bordeaux pour faire un CAP en alternance chez les Compagnons du Devoir. J’ai intégré comme première entreprise la Galerie Tourny, tournée vers le design. Cette première expérience a orienté ma carrière par la suite. De Bordeaux, j’ai fait une courte halte au Puy-en-Velay chez Philippe Pubellier, un compagnon que j’estime beaucoup. Puis je suis parti à Paris. La maison des compagnons est un superbe bâtiment situé derrière l’hôtel de ville. Tous les métiers y sont représentés (cordonniers, maroquiniers, etc.).
De Paris j’ai choisi d’aller en Allemagne. Tout d’abord Cologne, puis Stuttgart et enfin Berlin. Un voyage marquant culturellement, d’autant plus que l’architecte Mies van der Rohe y a séjourné. J’ai quitté l’Allemagne pour aller travailler chez un compagnon à Tours. Ce poste orienté sur le garnissage 18ème siècle m’a permis d’affirmer ma volonté de me tourner vers le design. J’ai donc quitté les compagnons et je suis parti m’installer sur Lyon.
2- Avais-tu envie de créer ton atelier ?
Après un an de réflexion, j’ai intégré une entreprise qui m’a laissé m’exprimer. J’ai pu travailler sur les meubles qui m’intéressaient au milieu de chantiers de rénovation plus traditionnels comme la Préfecture d’Ajaccio, le Palais de justice de Lyon, etc. J’ai également pu collaborer avec l’emblématique Maison Germain, une famille lyonnaise qui édite de somptueux tissus depuis 1660. Cette expérience m’a amené à apprécier de nouveau la partie traditionnelle que j’avais « fui ». Au bout de 10 ans j’ai eu envie d’avoir mon propre atelier. J’ai ouvert Édition Forêt. Nous avons fêté cet été une décennie d’activité sur ce joli quai Saint-Vincent.
« Je ne voulais pas faire mon métier dans la rénovation. Je voulais avoir un regard contemporain en me tournant vers le présent ou l’avenir. »
3- As-tu toujours eu cette sensibilité pour le design ?
Je l’ai acquise par les rencontres et la curiosité. Nathalie San Augustin était passionnée par le design et tous les grands éditeurs (Moroso, Cassina, Vitra) étaient chez elle, Galery Tourny. Elle m’a transmis cette passion qui a déterminé la suite de ma carrière. Pendant que mes collègues faisaient des fauteuils Louis XIII ou Louis XVI, je baignais dans cet atmosphère de Eams, Mies van der Rohe ou le Corbusier. Pour moi il y avait une évidence. Je ne voulais pas faire mon métier dans la restauration ou la rénovation. Je voulais avoir un regard contemporain en me tournant soit vers le présent, soit vers l’avenir.
4- La formation des compagnons est-elle plus axée tradition que modernité ?
Ça a changé depuis. J’ai commencé mon apprentissage dans les années 2000 qui signent la fin d’une époque. Pendant les trente glorieuses il y avait une luxuriance dans les appartements. Les années 90 ont été marquées par les crises pétrolières. À partir de là, il y a eu une espèce de déclin qui a amené la profession à ne plus savoir comment se positionner. On revient à présent sur un savoir-faire manuel. Les formations des compagnons sont adaptées aux métiers comme ils se pratiquent aujourd’hui. Quant à moi, la formation que je donne à l’atelier n’est pas standard mais elle est qualifiante. Et surtout, elle permet d’en vivre ce qui a toujours été mon combat.
5- Quelle est la différence entre un artisan et un artiste ?
C’est une question complexe. Je dirais que nous provenons de la même source sauf que l’artisan oeuvre comme un ouvrier là où l’artiste est plus dans l’émerveillement. Les artisans sont le fruit de l’évolution d’un métier, d’un geste que l’on perfectionne et que l’on se transmet depuis plusieurs siècles.
« En tant qu’homme de métier, on est façonné par la matière. »
6- Quel est ton métier exactement ?
Je suis tapissier. En parallèle j’ai fait une formation d’ébéniste parce que j’avais à coeur de fabriquer des meubles de A à Z. Le bois, les matériaux que l’on emploie, le confort, aller chercher du moelleux, du doux et à la fois du ferme avec une inclinaison … tout ça me plaît beaucoup.
Après, la partie tapisserie me correspond plus. En tant qu’homme de métier, on est façonné par la matière. Et plus le temps passe, plus ça s’accentue. On apprend et on aime notre métier en le pratiquant. Il faut être soigneux et rigoureux. Si on a le malheur de laisser traîner une pointe fine sur la table, on peut abîmer une laque qui a plusieurs centaines d’années.
7- Sur quoi travaille un tapissier ?
Sur tout ce qui va garnir la maison : canapé, moquettes, rideaux, tissus tendus, lit de repos, etc. Il n’y a presque rien d’épargné. À certaines époques, on a tout habillé en tissu, jusqu’à la lunette des toilettes. Aujourd’hui on voit apparaître le retour du tissu tendu. La place des médias avec notamment les home cinéma nous est également favorable. En effet, on apprécie bien mieux un film quand on est bien installé.
8- Est-ce qu’on peut te qualifier de designer ?
Sur ma carte de visite, j’ai marqué « créateur tapissier ». La partie création m’anime. Sur de nombreux projets, j’ai été entouré d’architectes et de designers brillants. Je me suis beaucoup nourris d’eux. Néanmoins, quand je vois leur implication au quotidien, ce n’est pas le mien. Je comprends les tenants et les aboutissants, les fibres qui construisent leur travail mais je n’y consacre pas assez de temps. Je m’en approche sur certains projets mais dans 10 ans je ne sais pas si j’aurai avancé dans cette direction. C’est un souhait en tout cas.
9- Pourquoi avoir choisi de devenir tapissier ?
Mon premier choix était pour le bois mais j’ai toujours eu cette crainte des grosses machines. J’ai l’image de mon grand-père ébéniste avec des doigts manquants sur la main gauche. La peur m’a orienté vers d’autres métiers. J’avais une sensibilité pour la boulangerie-pâtisserie. Et quand je parle avec Cédric Alibert et Agathe Simmonot, les fondateurs d’Antoinette Pain et Brioche, je trouve une approche commune dans nos métiers. La simplicité, une pensée assez essentialiste sur les matériaux. J’aime également la solidité du bois et toute la douceur que l’on peut apporter avec un velours ou un joli cuir.
10- Le fait que ton grand-père soit ébéniste t’a-t-il influencé ?
C’est un ensemble de facteurs. Je n’avais pas le profil scolaire. C’est plus facile à dire aujourd’hui mais ça n’a pas fait rire mes parents quand a m’a invité en 3ème à partir en alternance ou en formation professionnelle.
Je suis issu d’une famille simple. D’un côté il y a les origines maternelles italiennes avec les montagnes, les dolomites, les vachers. On mange du beurre avec du lait et du fromage, c’est la ressource principale. Côté paternel, c’était Lyon où mon grand-père avait plutôt bien réussi et le Beaujolais. Pour eux, il fallait faire des études pour gagner de l’argent, avoir une bonne place. J’entends encore ma grand-mère qui me disait « ingegnere ». Ça voulait tout dire et à la fois rien pour moi. Ils m’ont laissé faire des choix et j’ai essayé de faire au mieux. Par chance, des années plus tard j’ai monté l’atelier dans lequel je travaille depuis deux ans et demi avec ma soeur, Marie.
11- Y a-t-il un style Xavier Forêt ?
Je dirais qu’il y a une signature Forêt à travers le choix des matériaux, l’utilisation de la couleur qui est dans notre ADN et un style un peu brut, simple en première lecture. Après, c’est difficile à dire car nous faisons beaucoup de sur-mesure. Les pièces naissent d’échanges avec des architectes et/ou les personnes à qui les pièces sont destinées.
« Notre rôle est d’accompagner notre client dans ce qu’il veut faire et exprimer à travers des matériaux. »
12- Le sur-mesure est-il ton point fort ?
C’est une histoire que l’on construit ensemble. Nous sommes au début du projet. Notre rôle est d’accompagner notre client dans ce qu’il veut faire et exprimer à travers des matériaux. On apporte un cadre, celui dans lequel ils vont pouvoir accueillir leurs clients.
13- Quelles sont les matières premières avec lesquelles tu préfères travailler ?
Tout a un intérêt, tout a un sens. Chaque matériau peut fonctionner en ayant un emploi adéquat. Prenons l’exemple d’un magasin de ski. Si les clients s’assoient couverts de neige sur une banquette en cuir ça ne va pas aller. Nous avons un rôle de conseil et d’accompagnement. Même si notre souhait premier est d’utiliser les plus beaux matériaux pour nos clients, la fonction va prendre le dessus dans la conversation. Mais je ne dénigrerai aucun matériaux. Je les aime tous pour des raisons différentes.
14- As-tu un engagement dans la sélection de tes matières premières ?
Nous essayons de faire au mieux entre le positionnement des industriels et la réalité des contraintes des matériaux qui doivent résister à la fréquentation d’un public parfois festif. Sur le bois, nous essayons de faire PEFC (Programme de reconnaissance des certifications forestières) et toutes les normes françaises de conservation de la forêt. Depuis le début j’y suis très attaché mais ça a un coût. Nous sommes plus cher de 20% par rapport à d’autres collègues. Sur les matériaux de garnissage c’est plus complexe comme ils sont à base de pétrole. Dans l’ensemble, nous essayons de revenir aux matériaux naturels.
15- Quelles sont les techniques que tu préfères utiliser ?
J’ai tendance à aller vers le simple, l’efficace, la robustesse. Je parlais de Mies van der Rohe plus haut. C’est tribal, il y a un rite de passage. Il faut monter des petits carreaux de coussin avec des développés de capitons. On n’assemble pas simplement deux bouts de cuir, on va ajouter un passe-poil. Puis on habille un lacet avec un morceau de cuir pour assembler ces trois éléments qui vont former une mosaïque. Sa Barcelona est iconique, tout le monde l’a vue. Ce fameux piètement en métal en forme de x avec ses coussins pour l’assise et le dos qui se posent sur des sangles en cuir. Ce n’est que de la posture (inconfortable). C’est une pièce de style. Dans la fabrication chaque chose est pensée. C’est une épreuve mais on est très fier quand on en réalise une.
Photo @knoll
16- Quel est l’objet dont tu es le plus fier ?
J’ai employé le terme « rite de passage ». La Barcelona de Mies van der Rohe en a été un. La première fois en alcantara, la deuxième fois en cuir. Après il y a eu la station de bar que l’on a fait grâce à Fernando Castellon. Une bouteille de Cointreau de 3,5 mètres de haut toute gainée en cuir. Un de nos derniers moments d’événementiel avant de se recentrer sur les meubles. Cette tentation de faire des objets loufoques et/ou impactants demeure. On y reviendra.Tu évoquais le meuble bleu que nous avons fait pour ballad.club. C’est une belle illustration de nos dernières performances. Et nous continuons. Chaque année, il y a un projet marquant.
Photo @editionforet / Xavier Forêt
17- Pourquoi avoir commencé à travailler avec le CHR ?
Au début j’ai fait une étape dans le vêtement. Mon ami Vu-Quân Nguyen (développeur du concept store le Dixième sur Lyon) m’a conseillé de me rapprocher de la scène food. À l’époque, j’étais un bon lyonnais qui ne se faisait pas prier pour aller au restaurant ou dans bouchons mais je n’étais pas dans cette réflexion. Du cocktail est venu Marc Bonneton et par extension Arnaud Grosset qui a monté le Monkey club peu après. Marc m’a permis de rencontrer Tabata et Ludovic Mey qui ont fait appel à moi pour garnir une banquette pour les Apothicaires. De fil en aiguille j’ai évolué au sein de cette corporation.
18- Quel regard portes-tu sur les métiers de bouche ?
La cuisine est inscrite en moi depuis l’enfance. Ça me passionne, d’autant plus après ces 10 années à travailler auprès de belles maisons. J’ai eu la chance d’être invité pour la scène artisan au festival Omnivore. Le lendemain, dans la même session le chef Alexandre Mazzia s’exprimait. Cet homme m’a transporté dans sa réflexion sur son métier et dans cette poésie qu’il a dans son rapport à l’autre.
19- Quel est ton leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui t’inspire ?
« Si tu ne décides pas, la vie le fera à ta place et ce ne sera pas forcément à ton avantage ». C’est une force de dire qu’à un moment donné il faut faire des choix. On ne peut pas s’excuser tout le temps, et c’est valable tous les matins. S’il y a un doute c’est que ce n’est pas une direction à suivre. Il faut suivre son intuition, s’écouter, se respecter et savoir dire non.
20- Quels sont tes projets pour demain et/ou le rêve que tu souhaiterais réaliser ?
J’aimerais construire un projet autour du design, de l’écriture, de la photo et peut-être même de la peinture. Avec de la couleur, toujours.
Édition Forêt / Xavier Forêt
42, quai Saint-Vincent
69001 Lyon
Tél : 09 81 74 10 07
Site : editionforet
Portraits : Vincent Maure