À Tokyo, le chef Christophe Paucod célèbre la cuisine lyonnaise et ses spécialités à travers son restaurant étoilé Lugdunum Bouchon Lyonnais. Véritable ambassadeur de Lyon au Japon, celui pour qui « La cuisine lyonnaise n’a qu’un secret, laisser aux choses le goût de ce qu’elles sont », revisite les plats de bouchon en « créations bouchonomiques » élégantes et raffinées. Une belle invitation au voyage au pays du soleil levant.
1- Quel est votre parcours ?
Je suis né à Lyon, d’un père Lyonnais et d’une mère Normande, tous les deux fleuristes. Les métiers de bouche m’ont vite attiré. Je tiens peut-être cet héritage gourmand de mon grand-père maternel qui était cuisinier chez la Mère Brazier au Col de la Luère avant la guerre. J’ai fait mon premier stage en boulangerie puis en charcuterie à Rouen où j’ai grandi, avant de me tourner vers la cuisine. Je suis entré en apprentissage à 15 ans chez Gilles Tournadre, alors 1*Michelin. J’ai poursuivi ma carrière au sein de différentes maisons, dont l’hôtel Normandy à Deauville, l’hôtel Picardy au Touquet, puis à Paris au sein de la Tour d’Argent, le Plaza Athénée, le Bristol et chez Prunier. Entre temps j’ai fait mon service militaire aux Invalides aux côtés de Christophe Bacquié et d’Éric Pras, qui sont devenus des amis et des chefs renommés.
2- Pourquoi avoir fait le choix de quitter la France pour le Japon ?
Après notre mariage, ma femme a souhaité retourner auprès de sa famille. J’ai pris un aller simple pour Tokyo. J’ai pu obtenir un poste dans un restaurant gastronomique japonais. Ça n’a pas été facile. J’avais 25 ans et ici, l’expérience prime avant l’âge. J’ai ensuite été chef enseignant au Cordon Bleu. Puis, j’ai fait l’ouverture du Sofitel à Tokyo en multipliant les casquettes de chef exécutif puis directeur de la restauration et enfin corporate chef du goupe Accor au Japon .
3- Comment est née l’idée d’ouvrir Lugdunum Bouchon Lyonnais ?
À 33 ans, l’idée d’ouvrir mon propre restaurant a commencé à germer. Étant d’origine lyonnaise, je trouvais que ça avait du sens d’ouvrir un bouchon lyonnais au Japon. J’ai souhaité m’installer dans le quartier de Kagurazaka, appelé également « la petite France ». À l’époque, il y avait une forte communauté française grâce à la présence du lycée franco-japonais, qui a déménagé depuis, et à l’institut franco-japonais.
4 – Ouvrir un bouchon lyonnais à Tokyo était-il risqué ?
Ouvrir Lugdunum Bouchon Lyonnais a été un gros challenge. À l’époque, il n’y avait pas de restaurants français tenus par des chefs propriétaires français dans le quartier de Kagurazaka. Les Japonais sont très attachés à l’histoire d’un établissement, ce qui était un bel avantage pour moi. Créer ce restaurant m’a permis de redécouvrir ma ville natale, de créer des liens avec des gens de la profession dont certains sont devenus de vrais amis et une famille, comme Sébastien Bouillet, Philippe Bernachon, Christophe Marguin, Mathieu Viannay, et bien d’autres chefs de l’association les Toques Blanches Lyonnaises.
5 – Comment faites-vous pour vous approvisionner ?
En janvier 2017, j’ai séjourné sur Lyon pendant le Sirha dans le but de trouver des fournisseurs et chiner du mobilier. Je voulais créer un décor convivial et authentique. Pour ce faire, j’ai importé des carreaux de ciment, des tables en chêne, un comptoir en étain, une cave à vin, de la vaisselle, etc. Sur place, un artisan a réalisé un magnifique escalier en colimaçon en fer forgé. On a essayé de reproduire un bouchon lyonnais à Tokyo, et le pari n’est pas trop mal réussi je pense (sourire).
Pour ce qui est de l’alimentaire, l’approvisionnement de France est très compliqué aussi bien au niveau des normes sanitaires que des normes d’importation. Nous faisons toute notre charcuterie maison à partir de cochon japonais, que ce soit du saucisson lyonnais pistaché, du saucisson à l’ail, des rillettes de cochon fumé, du boudin noir, etc. Toutes nos pâtisseries, nos glaces et nos sorbets sont faits ici aussi, même les pralines roses.
« Nous proposons plus de la bouchonomie que du bouchon lyonnais. »
6 – Vous êtes le seul bouchon lyonnais à avoir obtenu une étoile au guide Michelin. Comment expliquez-vous cette récompense ?
Pour être honnête, je ne pensais pas du tout à l’étoile Michelin quand j’ai ouvert Lugdunum Bouchon Lyonnais. Après avoir fait le tour de quelques bouchons sur Lyon, j’ai compris qu’un bouchon élégant, avec des chemins de table en lin et des portions moins volumineuses, serait plus adapté à Tokyo. Chez Lugdunum Bouchon Lyonnais, nous proposons plus de la bouchonomie que du bouchon lyonnais finalement.
Nous faisons le bacon et le cake aux oreilles de cochon maison de la salade lyonnaise. L’oeuf est parfait plutôt que poché. On essaye de s’appliquer pour que ce soit léger et raffiné. À la place des saladiers lyonnais, nous proposons une salade de lentilles servie dans une petite cuillère en bois sur laquelle on dépose une fleur de capucine et quelques herbes de saison. Et à la place des gratons, nous faisons une peau de cochon croustillante aux épices avec un peu de zeste de citron ou du yuzu. On retravaille les plats de tradition de manière néo-classique en ajoutant une petite touche japonaise.
« Notre plat phare : la quenelle de brochet de la Mère Mauricette sauce Nantua ».
7 – Quels plats lyonnais ont le plus de succès ?
En entrée, l’assiette de charcuterie et la salade lyonnaise plaisent beaucoup. En plat, notre best seller est clairement la quenelle de brochet de la Mère Mauricette sauce Nantua servie avec un riz pilaf. L’ensemble est aérien, onctueux et très soyeux en bouche. Notre quenelle est composée en majorité de matière noble pour qu’elle ait un goût plus prononcé. En dessert, la tarte aux pralines a beaucoup de succès. Je fais une pâte sablée assez gourmande, croustillante, un peu épaisse et friable en bouche. Nous la servons accompagnée d’un oeuf à la neige et d’une crème anglaise vanillée pas trop sucrée.
8 – Sur votre carte, les spécialités lyonnaises côtoient la cuisine française. Pourquoi ce choix ?
Je ne voulais pas être piégé dans une thématique. En outre, il faut savoir qu’il fait très chaud à Tokyo l’été. Le thermostat peut osciller entre 35 et 40 degrés. On a besoin d’avoir des plats rafraîchissants à la carte. Nous faisons de la cuisine française en utilisant des produits locaux, comme par exemple du saumon du Mont Fuji confit aux agrumes avec des petits blinis de pommes de terre et une pointe de caviar.
« 95% de notre clientèle est japonaise. »
9 – Avez-vous dû adapter votre cuisine au palais japonais ?
Non, je fais la cuisine comme je la ressens, comme j’ai envie de la manger. Je suis heureux de proposer une expérience différente grâce à Lugdunum Bouchon Lyonnais. Cet établissement est une invitation à découvrir d’autres horizons, à sortir de sa zone de confort en passant un bon moment dans un cadre dépaysant. 95% de notre clientèle est japonaise. Quand ils viennent chez nous, ils ne sont plus à Tokyo mais à Lyon. Les voir sourire quand ils mangent ou quand ils quittent l’établissement est la plus belle des récompenses.
10 – Votre carte des vins invite-t-elle également au voyage ?
Quand j’ai ouvert Lugdunum Bouchon Lyonnais en 2007, la carte comptait 35 références. Aujourd’hui, elle en compte plus de 350. Je me suis pris au jeu en me rendant à des dégustations. C’est du stock, de l’argent qui dort comme on dit, mais je suis heureux d’avoir une si belle carte, qui plus est, illustrée par un ami.
Mon rêve quand je me suis installé était de proposer toutes les appellations de Bourgogne. Plus concrètement, nous avons à la carte du Champagne, un large choix de Bourgogne, des Côtes du Rhône, des vins du Jura et de Savoie, un peu de Loire et de Languedoc Roussillon. J’aimerais parfois en acheter plus. Il y a des pépites dans toutes les régions de France.
11 – Sur les treize éditions du Championnat du Monde de Pâté-Croûte, cinq ont été remportées par des Japonais. Comment expliquez-vous ce palmarès ?
Les Japonais sont perfectionnistes, ils s’entraînent jusqu’à maîtriser parfaitement la recette. Ils ont une culture du raffinement, du travail bien fait, du respect du produit. Ils aiment la cuisine française, les concours et ne laissent rien au hasard. Je fais partie du comité d’organisation de la sélection Asie du Championnat du Monde de Pâté-Croûte. Chaque année, nous recevons entre 60 et 70 candidatures. C’est fou !
12 – Quel est votre leitmotiv dans la vie et/ou une citation qui vous inspire ?
En tant que cuisinier, ne jamais se dire « aujourd’hui c’est moins bien qu’hier, ce n’est pas grave, on le sert ». Il faut donner le meilleur de soi-même au quotidien, être exigeant et rigoureux. Les produits sont vivants, leur degré de maturité évolue au fil de la saison. Il faut rester vigilant et constant dans les goûts. Notre métier exige de la répétition mais chaque service est différent.
« J’aime le Japon : la vie ici, la culture, le civisme. »
13 – Quel est votre projet pour demain et/ou le rêve que vous souhaiteriez réaliser ?
C’est une bonne question. Je viens d’avoir 50 ans, dont la moitié passée ici. À l’image de Christophe Bacquié, mon rêve serait d’avoir un restaurant avec un jardin, mais la campagne japonaise n’est pas la campagne française. Et même si je pense souvent à ma famille et à mes amis en France, le Japon est mon deuxième pays. J’aime la vie ici, la culture, le civisme. Aujourd’hui, j’ai la chance d’habiter une maison possédant un petit bout de terrain où j‘ai pu planter du thym, du romarin, de la citronnelle, du laurier, de la sauge et de l’estragon. Mon rêve serait de faire évoluer ça pour être plus près du produit.
Lugdunum Bouchon Lyonnais
Ebiya Building, 4-3-7 Kagurazaka,
Shinjuku-ku, Tokyo, 162-0825
Tél : 03-6426-1201