Dans un monde dopé par la vitesse, la performance et la réactivité, la lenteur a souvent été synonyme de paresse voire de frein à la modernité. Et si nous ne considérions pas la lenteur comme un ennemi mais comme un allié pour mieux vivre et mieux consommer?
Toujours plus, toujours plus vite
Aujourd’hui, tout est fait pour que nous soyons connectés et joignables à tout moment : smartphones, tablettes, ordinateurs portables, montres connectées et réseaux sociaux nous inondent de notifications. L’évolution des nouvelles technologies nous pousse à aller de plus en plus vite. Dans un contexte d’immédiateté, l’écriture manuscrite devient fastidieuse. On délaisse la plume pour les écrans, ou on envoie « des vocaux » pour gagner un peu plus de temps.
Cette surenchère du « toujours plus, toujours plus vite » s’applique également au rayon alimentaire avec l’ascension de la grande distribution. Dans les années 50, Édouard Leclerc est l’un des pionniers du « acheter moins cher, pour revendre moins cher ». Le fait de pouvoir concentrer les produits dans un même lieu va petit à petit détourner la clientèle des commerces spécialisés (boucher, fromager, boulanger, etc.) et des épiceries fines.
Dès lors, on privilégie le coût plutôt que le goût. Pour obtenir des tarifs toujours plus compétitifs et gagner du temps, le personnel disparaît au profit des caisses automatiques, le drive est mis en place, etc. Dans ce monde qui se déshumanise et où les crises économiques, écologiques et sanitaires se succèdent, nous avons le sentiment que les choses nous échappent.
La SLOW life
En réponse, est apparu ce mot : SLOW. La slow life, la slow food, le slow tourisme, le slow sexe. Un mot qui exprime notre besoin de ralentir, de revenir à nos racines, de nous reconnecter à nous-mêmes et aux éléments qui nous entourent.
Cela se traduit par un retour en force du fait maison, notamment en cuisine où l’on prend de nouveau le temps d’acheter des produits frais et de saison en circuit court, et parfois même de jardiner. Que ce soit pour des raisons économiques, écologiques, de santé et même de goût, nous avons besoin de nous réapproprier les choses. Outre la satisfaction de l’avoir fait soi-même, il y a le plaisir de manger mieux et de retrouver des saveurs saines, rassurantes et réconfortantes.
L’éloge de la lenteur : l’exemple de quatre artisans
Antoinette Pain et Brioche :
De nombreux artisans ont compris qu’il fallait privilégier la lenteur pour faire de la qualité. Ils ont ainsi fait le choix de la patience et du temps long au profit du bon. Parmi eux, Cédric Alibert et Agathe Simmonot. Au sein de leurs trois boulangeries artisanales, on ne trouve pas de baguette pour limiter le nombre de gestes et ainsi améliorer les conditions de travail des boulangers. Chez Antoinette, seuls sont proposés des gros pains de campagne au levain naturel en fermentation lente. Les bactéries lactiques formées au cours de la fermentation opèrent un travail de dégradation du gluten qui facilite le travail de digestion. En outre, cette méthode permet de limiter le gaspillage alimentaire grâce à une meilleure garde.
Maison Ferber :
Reconnue à travers le monde pour ses confitures et notamment sa collaboration avec le pâtissier Pierre Hermé, Christine Ferber a choisi de ne pas industrialiser sa production au profit de la qualité et du goût. Surnommée la « fée des confitures », cette dernière se fournit chez des producteurs de la région, dont certains depuis 40 ans. À ses yeux, l’excellence c’est travailler un produit extra. Une fois cueillis à maturité, les fruits sont préparés avec des gestes doux et cuisinés dans la journée ou le lendemain. Pour protéger leur couleur, leur saveur et leur texture, les cuissons sont effectuées dans des petites bassines en cuivre contenant 4 kg de fruits maximum.
Violette et Berlingot :
Une volonté de préserver le patrimoine culinaire que l’on retrouve également chez Anne-Claire Rigaud. Après avoir travaillé dans la mise en scène pendant 17 ans, c’est la précision des gestes du confiseur fabriquant des bonbons en sucre cuit et le souffle des guitares découpant la pâte moelleuse des guimauves qui la font vibrer. Dans sa boutique Violette et Berlingot, cette dernière propose un éventail de douceurs : bonbons à l’ancienne, fruits confits, dragées, caramels, réglisses, etc. Chaque recette est authentique et issue d’un savoir-faire artisanal. Anne-Claire se fait un plaisir de conter l’histoire qui se cache derrière chaque spécialité (Négus de Nevers, Bêtises de Cambrai, Anis de Flavigny, Berlingots, Bergamotes de Nancy, etc.).
Château de Fosse-Sèche :
Cette envie de bien faire se retrouve également au Château de Fosse-Sèche. Au coeur du vignoble saumurois, les frères Pire oeuvrent à la préservation du vivant. Sur les 45 hectares du domaine, un tiers est alloué à la culture de la vigne. Les vins en biodynamie sont élevés dans des cuves ovoïdes pour ne pas masquer la typicité du terroir. Les deux tiers restants sont dédiés à la biodiversité : plantation d’arbres et de fleurs, étangs pour les batraciens, etc. Comme le disent Guillaume et Adrien Pire : « être écolo prend du temps mais cultiver c’est enrichir alors qu’exploiter c’est appauvrir le vivant.»
La lenteur est-il un gage d’excellence ?
En ne cédant pas à la facilité, ces quatre artisans participent à la préservation des savoir-faire artisanaux et à la transmission du beau geste. Ils exercent leur métier avec passion et l’envie de travailler de manière toujours plus vertueuse. Pour ce faire ils pratiquent l’observation, le respect du vivant tout en ne lésinant pas sur le temps. Et si la patience était un gage d’excellence ?
Cet article est à découvrir en intégralité dans le magazine BON du chef Thierry Marx.
Photos : Romain Chambodut (Antoinette), Christine Hart (Christine Ferber), Paul et Paulette (Violette et Berlingot),Vincent Baldensperger (Château Fosse-Sèche).